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Alfred Jarry
(1873-1907)
L i n t e a u
Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau (sans superlatif : départ); et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. Car ils entreverront des idées entrebâillées, non brodées de leurs usuelles accompagnatrices, et s’étonneront du manque de maintes citations congrues, alors qu’il se compile des manuels où tout jeune homme lit ce qui est nécessaire pour suivre lesdits usages. Il est bien d’avoir fréquenté chez les siècles divers des philosophes, pour apprendre 1° l’absurdité de répéter leurs doctrines, qui, récentes, traînent aux cafés et brasseries, plus vieilles, aux cahiers des potaches; 2° et surtout, la double absurdité de citer l’étai du nom d’un philosophe, quand chacune de ses idées, prise hors de l’ensemble du système, bave des lèvres d’un gâteux (Et ce bout de dissertation est tout aussi banal que la banalité d’il ne faut pas tout dire qu’il explique) …
Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature (auxquelles faussement on a comparé l’œuvre seule de génie, toute œuvre écrite y étant semblable), la dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau. Confusion et danger : l’œuvre d’ignorance aux mots bulletins de votre pris hors de leur sens ou plus justement sans préférence de sens. Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversités des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante; et pour peu que la forme soit abrupte et irrégulière, par manque d’avoir su la régularité, toute régularité inattendue luit, pierre, orbite, œil de paon, lampadaire, accord final. – Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile, de l’Autre, simplicité* condensée, diamant du charbon, œuvre unique faite de toutes les oeuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de notre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens que l’on puisse y trouver est constant; en celle-là, indéfiniment varié.
(DILEMME) De par ceci qu’on écrit l’œuvre, active supériorité sur l’audition passive. Tous les sens qu’y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les trouvera tous; et l’auteur lui en peut indiquer, colin-maillard cérébral, d’inattendus, postérieurs et contradictoires.
Mais 2° Cas. Lecteur infiniment supérieur par l’intelligence à celui qui écrivit. – N’ayant point écrit l’œuvre, il ne la néanmoins pénètre point, reste parallèle, sinon égal, au lecteur du Ier Cas.
3° Si impossible il s’identifie à l’auteur, l’auteur au moins dans le passé le surpassa écrivant l’œuvre, moment unique où il vit TOUT (et n’eut, comme ci-dessus, garde de le dire. C’eût été (Cf. Pataph.) association d’idées animalement passive, dédain (ou manque) du libre-arbitre ou de l’intelligence choisissante, et sincérité, anti-esthétique et méprisable).
4° Si passé ce moment unique l’auteur oublie (et l’oubli est indispensable – timeo hominem… – pour retourner le style en sa cervelle et y buriner l’œuvre nouvelle), la constante du rapport précité lui est jalon pour retrouver TOUT. Et ceci n’est qu’accessoire de cette réciproque : quand même il n’eût point su toutes choses y afférentes en écrivant l’œuvre, il lui suffit de deux jalons placés (encoche, point de mire) – par intuition, si l’on veut un mot – pour TOUT décrire (dirait le tire-ligne au compas) et découvrir. Et Descartes est bien petit d’ambition, qui n’a voulu qu’édifier sur un Album un système (Rien de Stuart Mill, méthode des résidus).
Il est bon d’écrire une théorie après l’œuvre, de la lire avant l’œuvre. –
Avant de lire ce qui est passable :
Il est stupide de commenter soi-même l’œuvre écrite, bonne ou mauvaise, car au moment de l’écriture on a tâché de son mieux non de dire TOUT, ce qui serait absurde, mais le plus du nécessaire (que jamais d’ailleurs le lecteur ne percevra totale), et l’on ne sera pas plus clair. Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus.
Avant de lire ce qui ne vaut rien :
Et il y a divers vers et proses que nous trouvons très mauvais et que nous avons laissé pourtant, retranchant beaucoup, parce que pour un motif qui nous échappe aujourd’hui, il nous ont donc intéressé un instant parce que nous les avons écrits; l’œuvre est plus complète quand on n’en retranche point tout le faible et le mauvais, échantillons laissés qui expliquent par similitude ou différence leurs pareils ou leurs contraires – et d’ailleurs certains ne trouveront que cela de bien.
1894
(*) La simplicité n’a pas besoin d’être simple mais du complexe resserré et synthétisé

fleursdumal.nl magazine
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Monica Richter poetry: Nevermore
Le plus beau jour sonore 1974
KEMP=MAG POETRY MAGAZINE
magazine for art & literature
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J a c q u e s R i g a u t
(1898-1929)
Roman d’un jeune homme pauvre
On n’a fait tant de place à l’amour que parce qu’il dépassait en utilité le reste des choses. A mesure que l’argent se fait plus nécessaire, plus exigeant, il devient plus admirable, plus aimable, comme l’amour. – On pourra soutenir le contraire avec autant de bonheur. – Je supporte plus facilement ma misère dès que je songe qu’il y a des gens qui sont riches. L’argent des autres m’aide à vivre, mais pas seulement que comme on suppose. Chaque Rolls Royce que je rencontre prolonge ma vie d’un quart d’heure. Plutôt que de saluer les corbillards, les gens feraient mieux de saluer les Rolls Royce.
Penser est une besogne de pauvres, une misérable revanche. Quand je suis seul, je ne pense pas. Je ne pense que quand on m’y force ; les contraintes, le petit examen à préparer, les exigences paternelles, ce métier qu’il va falloir subir, tout effort salarié me mènent à penser, c’est-à-dire à décider de me tuer, ce qui revient au même. Il n’y a pas 36 façons de penser ; penser, c’est considérer la mort et prendre une décision. – Autrement, je dors. Eloge du sommeil ! pas seulement le magnifique mystère de chaque nuit, mais l’imprévoyante torpeur. Mes compagnons de sommeil, c’est près de vous que j’imagine une existence satisfaisante. Nous dormirons derrière le clapotis de nos cylindres, nous dormirons les skis aux pieds, nous dormirons devant les villes fumantes, dans le sang des ports, au-dessus des déserts, nous dormirons sur les ventres de nos femmes, nous dormirons à la poursuite de la connaissance, armés de tubes de Crookes et de syllogismes, – les chercheurs de sommeil.

Quand je roule dans ma n HP, que les poètes prennent garde, qu’ils ne s’attardent pas sur les refuges des avenues, sans quoi je pourrais bien en faire quelques faits-divers ! Ce penseur dédaigne les dollars, bien sûr ! il tient dans sa main des réalités aussi immédiates, bien sûr ! En attendant, il est là, sur un trottoir, un numéro à la main, sollicitant une place dans un autobus, P. 11 et comme je passe près de lui dans ma voiture et que je souris de plaisir en l’éclaboussant, lui et quelques autres mal nourris, il murmure :
– Imbécile !
– Toi même ! je dors. Toi, dans ton bureau, tu t’irrites ou tu t’ennuies, tu penses à la mort, sale victime ! L’amour, ton intelligence ! tout de même, on se laisser aller à quelque indulgence pour ces femmes, quand on se rappelle quels rivaux elles ont donnés à leurs poètes d’amants ! Attendez un peu que je sois l’homme le plus riche du monde et vous verrez qui sera préposé aux ignobles besognes chez moi ! Taisez-vous ! Les penseurs panseront mes autos ! Riez maintenant ! Ne sentez-vous pas le mérite de mes millions ; qu’ils sont la grâce ? J’aurai enfin la première balance exacte ; je sais le prix des choses, tous les plaisirs sont tarifés. Consultez la carte. Love to be sold. Me voici assuré contre les passions ! Le consentement des gens, je m’en passe, et si les sacrifices et l’à contre-coeur le remplacent, je me frotte les mains.
Un homme qui me veut du bien, mais qui a vingt ans de plus que moi, m’offrait comme moyens d’existence, afin de ne pas m’écarter de cette vie spéculative pour quoi j’avais témoigné tant de dispositions, tu parles ! de classer des fiches dans une bibliothèque et de composer une anthologie des pensées d’un grand capitaine ou d’un monarque. D’effarement, je ne pus répondre à ce brave homme que j’espérais bien passer en Cour d’Assises avant d’en être réduit à de pareils travaux. Dieu soit loué ! il y a la Bourse, dont l’accès est libre même à nous qui ne sommes pas juifs. Il y a d’ailleurs bien d’autres façons de voler. Il est honteux de gagner de l’argent. Comment les médecins peuvent-ils ne pas rougir quand un client pose un billet sur leur table. Dès qu’un monsieur se met dans le cas d’accepter d’un autre quelque argent, il peut s’attendre à ce qu’on lui demande de baisser son pantalon. Si on ne rend pas de service bénévolement, pourquoi en rendrait-on ? Je vois bien que je volerais par délicatesse.
La petite V vient d’épouser un riche garçon ; elle l’aime. Ce n’est pas son argent qu’elle aime, elle l’aime parce qu’il est riche. La richesse est une qualité morale. Les yeux, les fourrures, la santé, les jambes, les mains, la 12 Packard, la peau, la démarche, la réputation, les perles, les parti-pris, le parfum, les dents, l’ardeur, les robes qui sortent de chez le grand couturier, les seins, la voix, l’hôtel Avenue du Bois, la fantaisie, le rang dans la société, les chevilles, les fards, la tendresse, l’adresse au tennis, le sourire, les cheveux, la soie, je ne fais pas de différence entre ces choses, et aucune d’entre elles n’est moins capable de me séduire que les autres.
On n’a jamais vécu que de possibilités et c’était tout de même autre chose que le balcon de Juliette, ce petit cube bleu qui circulait – à des épaisseurs variables – d’un joueur à l’autre sur le tapis vert de la salle de Baccara. Un gros coup. Autour de la table, les visages fonctionnaient au ralenti, les sourires se déclanchaient avec peine, puis s’immobilisaient des doigts qui tremblaient. J’ai deviné ce qu’était le respect quand j’ai vu, au petit matin, cette femme qui emportait dans son sac plusieurs années d’insolence, rencontrer sur la route, en sortant du casino, les pêcheuses de crevettes, qui revenaient de la mer, mouillées, chargées de filets, les pieds nus.
Jeune homme pauvre, médiocre, 21 ans, mains propres, épouserait femme, 24 cylindres, santé, érotomane ou parlant l’Annamite. Ec. Jacques Rigaut, 73, bld Montparnasse, Paris VIe.
Jacques Rigaut
La revue Littérature 1921

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Guillaume Apollinaire
(1880-1918)
Z o n e
À la fin tu es las de ce monde ancien
Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin
Tu en as assez de vivre dans l’antiquité grecque et romaine
Ici même les automobiles ont l’air d’être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation
Seul en Europe tu n’es pas antique ô Christianisme
L’Européen le plus moderne c’est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D’entrer dans une église et de t’y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d’aventures policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers
J’ai vu ce matin une jolie rue dont j’ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J’aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thiéville et l’avenue des Ternes
Voilà la jeune rue et tu n’es encore qu’un petit enfant
Ta mère ne t’habille que de bleu et de blanc
Tu es très pieux et avec le plus ancien de tes camarades René Dalize
Vous n’aimez rien tant que les pompes de l’Église
Il est neuf heures le gaz est baissé tout bleu vous sortez du dortoir en cachette
Vous priez toute la nuit dans la chapelle du collège
Tandis qu’éternelle et adorable profondeur améthyste
Tourne à jamais la flamboyante gloire du Christ
C’est le beau lys que tous nous cultivons
C’est la torche aux cheveux roux que n’éteint pas le vent
C’est le fils pâle et vermeil de la douloureuse mère
C’est l’arbre toujours touffu de toutes les prières
C’est la double potence de l’honneur et de l’éternité
C’est l’étoile à six branches
C’est Dieu qui meurt le vendredi et ressuscite le dimanche
C’est le Christ qui monte au ciel mieux que les aviateurs
Il détient le record du monde pour la hauteur

Pupille Christ de l’oeil
Vingtième pupille des siècles il sait y faire
Et changé en oiseau ce siècle comme Jésus monte dans l’air
Les diables dans les abîmes lèvent la tête pour le regarder
Ils disent qu’il imite Simon Mage en Judée
Ils crient s’il sait voler qu’on l’appelle voleur
Les anges voltigent autour du joli voltigeur
Icare Enoch Elie Apollonius de Thyane
Flottent autour du premier aéroplane
Ils s’écartent parfois pour laisser passer ceux que transporte la Sainte-Eucharistie
Ces prêtres qui montent éternellement élevant l’hostie
L’avion se pose enfin sans refermer les ailes
Le ciel s’emplit alors de millions d’hirondelles
À tire-d’aile viennent les corbeaux les faucons les hiboux
D’Afrique arrivent les ibis les flamants les marabouts
L’oiseau Roc célébré par les conteurs et les poètes
Plane tenant dans les serres le crâne d’Adam la première tête
L’aigle fond de l’horizon en poussant un grand cri
Et d’Amérique vient le petit colibri
De Chine sont venus les pihis longs et souples
Qui n’ont qu’une seule aile et qui volent par couples
Puis voici la colombe esprit immaculé
Qu’escortent l’oiseau-lyre et le paon ocellé
Le phénix ce bûcher qui soi-même s’engendre
Un instant voile tout de son ardente cendre
Les sirènes laissant les périlleux détroits
Arrivent en chantant bellement toutes trois
Et tous aigle phénix et pihis de la Chine
Fraternisent avec la volante machine
Maintenant tu marches dans Paris tout seul parmi la foule
Des troupeaux d’autobus mugissants près de toi roulent
L’angoisse de l’amour te serre le gosier
Comme si tu ne devais jamais plus être aimé
Si tu vivais dans l’ancien temps tu entrerais dans un monastère
Vous avez honte quand vous vous surprenez à dire une prière
Tu te moques de toi et comme le feu de l’Enfer ton rire pétille
Les étincelles de ton rire dorent le fond de ta vie
C’est un tableau pendu dans un sombre musée
Et quelquefois tu vas le regarder de près
Aujourd’hui tu marches dans Paris les femmes sont ensanglantées
C’était et je voudrais ne pas m’en souvenir c’était au déclin de la beauté
Entourée de flammes ferventes Notre-Dame m’a regardé à Chartres
Le sang de votre Sacré-Coeur m’a inondé à Montmartre
Je suis malade d’ouïr les paroles bienheureuses
L’amour dont je souffre est une maladie honteuse
Et l’image qui te possède te fait survivre dans l’insomnie et dans l’angoisse
C’est toujours près de toi cette image qui passe
Maintenant tu es au bord de la Méditerranée
Sous les citronniers qui sont en fleur toute l’année
Avec tes amis tu te promènes en barque
L’un est Nissard il y a un Mentonasque et deux Turbiasques
Nous regardons avec effroi les poulpes des profondeurs
Et parmi les algues nagent les poissons images du Sauveur
Tu es dans le jardin d’une auberge aux environs de Prague
Tu te sens tout heureux une rose est sur la table
Et tu observes au lieu d’écrire ton conte en prose
La cétoine qui dort dans le coeur de la rose
Épouvanté tu te vois dessiné dans les agates de Saint-Vit
Tu étais triste à mourir le jour où tu t’y vis
Tu ressembles au Lazare affolé par le jour
Les aiguilles de l’horloge du quartier juif vont à rebours
Et tu recules aussi dans ta vie lentement
En montant au Hradchin et le soir en écoutant
Dans les tavernes chanter des chansons tchèques
Te voici à Marseille au milieu des pastèques
Te voici à Coblence à l’hôtel du Géant
Te voici à Rome assis sous un néflier du Japon
Te voici à Amsterdam avec une jeune fille que tu trouves belle et qui est laide
Elle doit se marier avec un étudiant de Leyde
On y loue des chambres en latin Cubicula locanda
Je m’en souviens j’y ai passé trois jours et autant à Gouda
Tu es à Paris chez le juge d’instruction
Comme un criminel on te met en état d’arrestation
Tu as fait de douloureux et de joyeux voyages
Avant de t’apercevoir du mensonge et de l’âge
Tu as souffert de l’amour à vingt et à trente ans
J’ai vécu comme un fou et j’ai perdu mon temps
Tu n’oses plus regarder tes mains et à tous moments je voudrais sangloter
Sur toi sur celle que j’aime sur tout ce qui t’a épouvanté
Tu regardes les yeux pleins de larmes ces pauvres émigrants
Ils croient en Dieu ils prient les femmes allaitent des enfants
Ils emplissent de leur odeur le hall de la gare Saint-Lazare
Ils ont foi dans leur etoile comme les rois-mages
Ils espèrent gagner de l’argent dans l’Argentine
Et revenir dans leur pays après avoir fait fortune
Une famille transporte un édredon rouge comme vous transportez votre coeur
Cet édredon et nos rêves sont aussi irréels
Quelques-uns de ces émigrants restent ici et se logent
Rue des Rosiers ou rue des Écouffes dans des bouges
Je les ai vus souvent le soir ils prennent l’air dans la rue
Et se déplacent rarement comme les pièces aux échecs
Il y a surtout des Juifs leurs femmes portent perruque
Elles restent assises exsangues au fond des boutiques
Tu es debout devant le zinc d’un bar crapuleux
Tu prends un café à deux sous parmi les malheureux
Tu es la nuit dans un grand restaurant
Ces femmes ne sont pas méchantes elles ont des soucis cependant
Toutes même la plus laide a fait souffrir son amant
Elle est la fille d’un sergent de ville de Jersey
Ses mains que je n’avais pas vues sont dures et gercées
J’ai une pitié immense pour les coutures de son ventre
J’humilie maintenant à une pauvre fille au rire horrible ma bouche
Tu es seul le matin va venir
Les laitiers font tinter leurs bidons dans les rues
La nuit s’éloigne ainsi qu’une belle Métive
C’est Ferdine la fausse ou Léa l’attentive
Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie
Tu marches vers Auteuil tu veux aller chez toi à pied
Dormir parmi tes fétiches d’Océanie et de Guinée
Ils sont des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance
Ce sont les Christ inférieurs des obscures espérances
Adieu Adieu
Soleil cou coupé
(Alcools 1913)
Guillaume Apollinaire poème: Zone

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J u l i e n T o r m a
(1902-1933)
Le contraire du problème
est le poème
Hommage
à Littré
tel un sexe en érection
dans une bouteille
tel un voyeur faisant
des projets d’avenir
telle une rose noire pelotée
par un fou
tel un dentier d’or
éclatant de rire sur une table
de nuit
l’ A M O U R .
[…]
Casquette sur l’oreille le démon siffle
un diabolo-menthe sur le zinc
pendant que
comme une Image
d’Epinal
sage
le Souverain Poncif pelote
rêveusement ses grosses couilles d
e Tolède.
Le Hasard? ses créations ne sont pas plus mal réussies que celles de l’Autre. Ses desseins sont tout aussi imprévisibles, sa puissance infinie. Il lui ressemble comme un frère. Comme lui il se laisse aller aux improvisations. Son sublime également est un peu usé: il ne faut pas prendre au sérieux ce qui arrive. Comme Dieu, entremetteur et assassin: et de cuisse légère, offert au premier venu.
Pour l’optimiste, tout est bien: font partie de l’harmonie tous ces désordres, stupidités et insignifiances. Quel pessimiste! Pour le pessimiste tout devrait être beaucoup mieux: il semble croire qu’on puisse concevoir l’univers autrement qu’absurde et l’homme autrement que médiocre. Quel optimiste!

KEMP=MAG POETRY MAGAZINE
More in: Torma, Julien
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Clément Pansaers
(1885-1922)
L’APOLOGIE DE LA PARESSE 1917
Chapitre IX
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Monica Richter: Die Tür
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Monica Richter : Die Tür
Die Tür nach Beuys
Kunstakademie Düsseldorf, 2009
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KEMP=MAG poetry magazine
magazine for art & literature
© monica richter
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J a c q u e s V a c h é
L E T T R E S D E G U E R R E

Cher Ami,
…Je vous écris d’un ex-village, d’une très étroite étable-à-cochon tendue de couvertures — Je suis avec les soldats anglais — Ils ont avancé sur le parti ennemi beaucoup par ici — C’est très bruyant — Voilà.
…Et puis vous me demandez une définition de l’umour — comme cela ! —
« IL EST DANS L’ESSENCE DES SYMBOLES D’ÊTRE SYMBOLIQUES » m’a longtemps semblé digne d’être cela comme étant capable de contenir une foule de choses vivantes: EXEMPLE: vous savez l’horrible vie du réveillematin — c’est un monstre qui m’a toujours épouvanté à cause que le nombre de choses que ses yeux projettent, et la manière dont cet honnête me fixe lorsque je pénètre dans une chambre — pourquoi donc a-t-il tant d’umour, pourquoi donc? — Mais voilà: c’est ainsi et non autrement — Il y a beaucoup de formidable UBIQUE aussi dans l’umour — comme vous verrez — Mais ceci n’est naturellement — définitif et l’umour dérive trop d’une sensation pour ne pas être très difficilement exprimable — Je crois que c’est une sensation — J’allais presque dire un SENS — aussi — de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout.
Quand on sait.
Et c’est pourquoi alors les enthousiasmes (d’abord c’est bruyant), des autres sont haïssables — car — n’est-ce pas — nous avons le génie — puisque nous savons l’UMOUR — Et tout — vous n’en aviez d’ailleurs jamais douté? nous est permis. Tout ça est bien ennuyeux, d’ailleurs.
Je joins un bonhomme — et ceci pourrait s’appeler OBSESSION — ou bien — BATAILLE DE LA SOMME ET DU RESTE — oui.
Il m’a suivi longtemps, et m’a contemplé d’innommables fois dans des trous innombrables — Je crois qu’il essaie de me mystifier un peu — J’ai beaucoup d’affection pour lui, entre autres choses.
Jacques Vaché 29 avril 1917







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Jacques Vaché (1895-1919)
Lettres de Guerre
partie 1
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Clément Pansaers
(1885-1922)
L’APOLOGIE DE LA PARESSE 1917
Chapitre VIII
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Clément Pansaers
(1885-1922)
L’APOLOGIE DE LA PARESSE 1917
Chapitre VII
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Clément Pansaers
(1885-1922)
L’APOLOGIE DE LA PARESSE 1917
Chapitre VI
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KEMP=MAG POETRY MAGAZINE
More in: Pansaers, Clément

J a c q u e s R i g a u t
(1898-1929)
Je serai sérieux comme le plaisir
Il n’y a pas de raisons de vivre, mais il n’y a pas de raisons de mourir non plus. La seule façon qui nous soit laissée de témoigner de notre dédain de la vie, c’est de l’accepter. La vie ne vaut pas qu’on se donne la peine de la quitter. On peut par charité l’éviter à quelques-uns mais à soi-même ? Le désespoir, l’indifférence, les trahisons, la fidélité, la solitude; la famille, la liberté, la pesanteur, l’argent, la pauvreté, l’amour, l’absence d’amour, la syphilis, la santé, le sommeil, l’insomnie, le désir, l’impuissance, la platitude, l’art, l’honnêteté, le déshonneur, la médiocrité, l’intelligence, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Nous savons trop de quoi ces choses sont faites pour y prendre garde.
Chaque fois que j’ai pu tromper la confiance d’un ami, je crois n’y avoir pas manqué. Mais le mérite est mince à railler la bonté, à berner la charité, et le plus sûr élément de comique c’est de priver les gens de leur petite vie, sans motifs, pour rire.
Les enfants, eux, ne s’y trompent pas et savent tout le plaisir qu’il y a à jeter la panique dans une fourmilière, ou à écraser deux mouches surprises en train de forniquer.
Pendant la guerre, j’ai jeté une grenade dans une cagna où deux camarades s’apprêtaient, avant de partir en permission. Quel éclat de rire en voyant le visage de ma maîtresse, qui s’attendait à recevoir une caresse, s’épouvanter quand je l’ai eu frappée de mon coup de poing américain, et son corps s’abattre quelques pas plus loin; et quel spectacle, ces gens qui luttaient pour sortir du Gaumont Palace, après que j’y eus mis le feu ! Ce soir vous n’avez rien à craindre, j’ai la fantaisie d’être sérieux.
Il n’y a évidemment pas un mot de vrai dans cette histoire et je suis le plus sage petit garçon de Paris, mais je me suis si souvent complu à me figurer que j’avais accompli ou allais accomplir d’aussi honorables exploits, qu’il n’y a pas là non plus un mensonge.

? ? ?
Demande d’emploi
Il y a des gens qui font de l’argent, d’autres de la neurasthénie, d’autres des enfants. Il y a ceux qui font de l’esprit. Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui font pitié.
Depuis le temps que je cherche à faire quelque chose ! Il n’y a rien à y faire : il n’y a rien à faire.
Peut-être est-ce ma voie. Je bois, je suis devenu un peu ivrogne; notez-le, je perds rarement ma dignité. Je bois à plusieurs, avec les femmes surtout.
Et je bois seul, avec de grands hoquets.
Camarades ! il n’y a pas de camarades. Je ne vous aime pas. Vous pouvez vivre et vous amuser, ça m’est égal.
– Il n’y a rien de possible, pas même le suicide. (…) Le suicide est, quoi qu’on veuille, un acte-désespoir ou un acte-dignité. Se tuer, c’est convenir qu’il y a des obstacles effrayants, des choses à redouter, ou seulement à prendre en considération.
– Selon vous le suicide est un pis-aller.
– Exactement. Et un pis-aller à peine moins antipathique qu’un métier ou qu’une morale.
Choisir un point qu’on appellera commencement; on ne le reconnaît qu’à ce qu’il touche la fin et qu’il sera partout où sera la fin, commandé par elle.

Pensées
Ménagez la mort, mon ami. Disposez un coussin sur son siège. Distrayez la, flattez la, faites lui la vie agréable, qu’elle n’aille pas vous quitter.
Cette personne, la plus méconnue, c’est d’elle que vous recevrez tout, c’est votre seul gage d’existence. Privé de sa compagnie, il ne vous reste plus qu’à jouer aux billes.
Splendeur de ma voix qui s’élève seule, seule, dédaigneuse de toute oreille, faite pour aucune. Je frémis au sommet du mot seul, sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur, ou du chancellement du boxeur avant qu’il s’écroule, ou de l’avion qui pique en flammes.
Depuis vingt heures inquiet, mal à l’aise parce qu’une petite fille sans beauté et sans profondeur n’a pas témoigné assez de bonne grâce au téléphone. A chaque bout du fil, deux êtres pleins – pas d’un dépit de coquetterie – de la déception un peu rancunière de voir qu’un être qu’on a failli aimer y a manqué aussi.

KEMP=MAG POETRY MAGAZINE – magazine for art & literature
More in: Rigaut, Jacques
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