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Henry Bataille
(1872 – 1922)
Les Trains
Les trains rêvent dans la rosée, au fond des gares…
Ils rêvent des heures, puis grincent et démarrent…
J’aime les trains mouillés qui passent dans les champs,
Ces longs convois de marchandises bruissant,
Qui pour la pluie ont mis leurs lourds manteaux de bâches,
Ou qui dorment la nuit entière dans les garages…
Et les trains de bestiaux où beuglent mornement
Des bêtes qui se plaignent au village natal…
Tous ces grands wagons gris, hermétiques et clos,
Dont le silence luit sous l’averse automnale,
Avec leurs inscriptions effacées, leurs repos
Infinis, leurs nuits abandonnées, leurs vitres pâles…
Oh ! le balancement. des falots dans l’aurore !…
Une machine est là qui susurre et somnole…
Une face se montre et relaisse le store…
Et la petite gare où tinte une carriole…
Belloy, Sours, Clarigny, Gagnac et la banlieue…
Oh ! les wagons éteints où l’on entend des souffles !
La palpitation des lampes au voile bleu…
Le train qu’on croise et qui nous dit qu’il souffre,
Tandis que nous fronçons le sourcil dans nos coins,
Et nous laisse étonnés de son prolongement…
Oh ! dans la halte verte où l’on entend les cailles,
Le son du timbre triste et solitaire !… Et puis
Les voies bloquées avec au loin un sifflet qui tressaille,
Les signaux réguliers dans le dortoir des nuits…
Des appels mystérieux que l’on ne comprend pas…
Et, — oh ! surtout ! — après des bercements sans fin,
Où l’âme s’est donnée comme en une brisure,
L’entrée retentissante, avec un bruit d’airain,
De tout l’effort joyeux et bondissant du train,
Dans les grandes villes pleines de murmures !…
C’est là que vient se casser net le pur rayon
Qui m’a conduit d’un rêve à l’autre par le monde,
Rails infinis, sous le beau clair de lune et les fourgons,
A qui j’ai confié l’amertume profonde
De tous mes chers départs et tant d’enchantements…
J’aime les trains mouillés qui passent dans les champs.
Henry Bataille poésie
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Henry Bataille
(1872-1922)
Le mois mouillé
Par les vitres grises de la lavanderie,
J’ai vu tomber la, nuit d’automne que voilà…
Quelqu’un marche le long des fossés pleins de pluie…
Voyageur, voyageur de jadis, qui t’en vas,
A l’heure où les bergers descendent des montagnes,
Hâte-toi. – Les foyers sont éteints où tu vas,
Closes les portes au pays que tu regagnes…
La grande route est vide et le bruit des luzernes
Vient de si loin qu’il ferait peur… Dépêche-toi :
Les vieilles carrioles ont soufflé leurs lanternes…
C’est l’automne : elle s’est assise et dort de froid
Sur la chaise de paille au fond de la cuisine…
L’automne chante dans les sarments morts des vignes…
C’est le moment où les cadavres introuvés,
Les blancs noyés, flottant, songeurs, entre deux ondes,
Saisis eux-mêmes aux premiers froids soulevés,
Descendent s’abriter dans les vases profondes.
Henry Bataille poetry
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Henry Bataille
(1872-1922)
Le passé, c’est un second coeur qui bat en nous . . .
Le passé, c’est un second coeur qui bat en nous…
on l’entend, dans nos chairs, rythmer à petits coups,
sa cadence, pareille à l’autre coeur, -plus loin,
l’espace est imprécis où ce coeur a sa place,
mais on l’entend, comme un grand écho, néanmoins,
alimenter le fond de l’être et sa surface.
Il bat. Quand le silence en nous se fait plus fort
cette pulsation mystérieuse est là
qui continue… Et quand on rêve il bat encor,
et quand on souffre il bat, et quand on aime il bat…
Toujours ! C’est un prolongement de notre vie…
Mais si vous recherchez, pour y porter la main,
où peut être la source heureuse et l’eurythmie
de son effluve… Rien !… Vous ne trouverez rien
sous les doigts… Il échappe. Illusion… Personne
ne l’a trouvé jamais… Il faut nous contenter
d’en sentir, à coups sourds, l’élan précipité,
dans les soirs trop humains où ce grand coeur résonne.
Le passé! Quel mot vain! C’est du présent -très flou,
c’est du présent de second plan, et voilà tout.
Il n’est pas vrai que rien jamais soit effacé.
Le passé n’est jamais tout à fait le passé.
N’avez-vous pas senti comme il rôde partout,
et tangible ? Il est là, lucide, clairvoyant,
non pas derrière nous, comme on croit, mais devant.
L’ombre de ce qui fut devant nous se projette
sur le chemin qui va, sur l’acte qui s’éveille.
Ce qui est mort est encor là qui nous précède, –
comme le soir on voit, au coucher du soleil,
les formes qu’on avait peu à peu dépassées
envoyer leur grande ombre au loin, sur les allées,
sur tout votre avenir, plaines, taillis, campagnes !
Et s’en aller toucher de l’aile les montagnes…
Ainsi, tout ce qui fut, jeunesse, enfance, amour,
tout danse devant moi sa danse heureuse ou triste.
Rien derrière !… Le groupe est là qui vole et court.
Mais j’ai beau me hâter, la distance persiste
entre nous deux… Tel je m’en vais, épris du bleu
lointain, et quelquefois si je titube un peu
ce n’est pas que le sol sous mes pas se dérobe,
c’est que parmi le soir, les yeux plein de passé,
ô toi qui vas devant, Souvenir cadencé,
j’ai marché sur la traîne immense de ta robe !
Henry Bataille poetry
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Henry Bataille
(1872-1922)
Soirs
Il y a de grands soirs où les villages meurent
Après que les pigeons sont rentrés se coucher.
Ils meurent, doucement, avec le bruit de l’heure
Et le cri bleu des hirondelles au clocher…
Alors, pour les veiller, des lumières s’allument,
Vieilles petites lumières de bonnes soeurs,
Et des lanternes passent, là-bas dans la brume…
Au loin le chemin gris chemine avec douceur…
Les fleurs dans les jardins se sont pelotonnées,
Pour écouter mourir leur village d’antan,
Car elles savent que c’est là qu’elles sont nées…
Puis les lumières s’éteignent, cependant
Que les vieux murs habituels ont rendu l’âme,
Tout doux, tout bonnement, comme de vieilles femmes.
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Henry Bataille
(1872-1922)
Je t’ai rêvée en la naïveté des choses . . .
Je t’ai rêvée en la naïveté des choses,
Et j’ai parlé de toi aux plus vieilles d’entre elles,
À des champs, à des blés, aux arbres, à des roses. –
Elles n’en seront pas pourtant plus éternelles,
Mais d’elles ou de moi celui qui doit survivre
En gardera quelque douceur pour ses vieux jours…
Je m’en vais les quitter, puisque voici les givres.
Tu ne les connaîtras jamais… les temps sont courts . . .
Mais vous ne pouvez pas vous être indifférentes,
Simplement parce que je vous ai très aimées . . .
Ô les toutes petites et si vieilles plantes !
Moi qui ne me les suis jamais imaginées
Hors de leur sol natal, ce m’est un grand chagrin
De savoir qu’elles mourront sans t’avoir connue . . .
Elles ont des airs si résignés, si sereins,
Et si tristes de ce que tu n’es pas venue !. . .
Que mon coeur soit pour toi le grand champ paternel,
Où si tu n’es pas née au moins tu dois mourir.
Que je te plante en moi, germe de toute rose,
Pour oublier que tu vécus ailleurs qu’en moi. –
Et tu passeras moins qu’ont passé bien des choses. –
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Henry Bataille
(1872-1922)
Les souvenirs
Les souvenirs, ce sont les chambres sans serrures,
Des chambres vides où l’on n’ose plus entrer,
Parce que de vieux parents jadis y moururent.
On vit dans la maison où sont ces chambres closes.
On sait qu’elles sont là comme à leur habitude,
Et c’est la chambre bleue, et c’est la chambre rose…
La maison se remplit ainsi de solitude,
Et l’on y continue à vivre en souriant…
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Henry Bataille
(1872-1922)
Les trains
Les trains rêvent dans la rosée, au fond des gares…
Ils rêvent des heures, puis grincent et démarrent…
J’aime les trains mouillés qui passent dans les champs,
Ces longs convois de marchandises bruissant,
Qui pour la pluie ont mis leurs lourds manteaux de bâches,
Ou qui dorment la nuit entière dans les garages…
Et les trains de bestiaux où beuglent mornement
Des bêtes qui se plaignent au village natal…
Tous ces grands wagons gris, hermétiques et clos,
Dont le silence luit sous l’averse automnale,
Avec leurs inscriptions effacées, leurs repos
Infinis, leurs nuits abandonnées, leurs vitres pâles…
Oh ! le balancement. des falots dans l’aurore !…
Une machine est là qui susurre et somnole…
Une face se montre et relaisse le store…
Et la petite gare où tinte une carriole…
Belloy, Sours, Clarigny, Gagnac et la banlieue…
Oh ! les wagons éteints où l’on entend des souffles !
La palpitation des lampes au voile bleu…
Le train qu’on croise et qui nous dit qu’il souffre,
Tandis que nous fronçons le sourcil dans nos coins,
Et nous laisse étonnés de son prolongement…
Oh ! dans la halte verte où l’on entend les cailles,
Le son du timbre triste et solitaire !… Et puis
Les voies bloquées avec au loin un sifflet qui tressaille,
Les signaux réguliers dans le dortoir des nuits…
Des appels mystérieux que l’on ne comprend pas…
Et, — oh ! surtout ! — après des bercements sans fin,
Où l’âme s’est donnée comme en une brisure,
L’entrée retentissante, avec un bruit d’airain,
De tout l’effort joyeux et bondissant du train,
Dans les grandes villes pleines de murmures !…
C’est là que vient se casser net le pur rayon
Qui m’a conduit d’un rêve à l’autre par le monde,
Rails infinis, sous le beau clair de lune et les fourgons,
A qui j’ai confié l’amertume profonde
De tous mes chers départs et tant d’enchantements…
J’aime les trains mouillés qui passent dans les champs.
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Henry Bataille
(1872-1922)
Le beau voyage
Les trains rêvent dans la rosée, au fond des gares…
Ils rêvent des heures, puis grincent et démarrent…
J’aime ces trains mouillés qui passent dans les champs,
Ces longs convois de marchandises bruissant,
Qui pour la pluie ont mis leurs lourds manteaux de bâches,
Ou qui forment la nuit entière dans les garages…
Et les trains de bestiaux où beuglent mornement
Des bêtes qui se plaignent au village natal…
Tous ces rands wagons gris, hermétiques et clos,
Dont le silence luit sous l’averse automnale,
Avec leurs inscriptions effacées, leurs repos
Infinis, leurs nuits abandonnées, leurs vitres pâles…
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Henry Bataille
(1872-1922)
Les doux mots . . .
Les doux mots que morte et passée…
On dirait presque des mots d’amour,
De sommeil et de demi-jour…
La plupart des mots que l’on sait
N’enferment pas tant de bonheur.
On dit Marthe et l’on dit Marie,
Et cela calme et rafraîchit. –
Il y a bien des mots qui pleurent
Ceux-là ne pleurent presque pas…
Marthe, c’est, au réveil, le pas
Des mères dans la chambre blanche,
C’est comme une main qui se pose,
Et l’armoire sent la lavande…
Il faut murmurer quelque chose
Pour se bien consoler, des mots,
N’importe lesquels s’ils consolent,
S’ils endorment et tiennent chaud. –
Ah! loin des meilleures paroles,
Les doux noms que Marthe et Marie,
Les doux mots que morte et passée…
1893
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Henry Bataille
(1872-1922)
Les doux mots que morte et passée…
Les doux mots que morte et passée…
On dirait presque des mots d’amour,
De sommeil et de demi-jour…
La plupart des mots que l’on sait
N’enferment pas tant de bonheur.
On dit Marthe et l’on dit Marie,
Et cela calme et rafraîchit. –
Il y a bien des mots qui pleurent ;
Ceux-là ne pleurent presque pas…
Marthe, c’est, au réveil, le pas
Des mères dans la chambre blanche,
C’est comme une main qui se pose,
Et l’armoire sent la lavande…
Il faut murmurer quelque chose
Pour se bien consoler, des mots,
N’importe lesquels s’ils consolent,
S’ils endorment et tiennent chaud. –
Ah ! loin des meilleures paroles,
Les doux noms que Marthe et Marie,
Les doux mots que morte et passée…
1893
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