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Verlaine, Paul

· Paul Verlaine: Nevermore · Paul Verlaine: Mon rêve familier · Paul Verlaine: Nocturne parisien · ‘Blue in Green’ gedicht van Paul Bezembinder · PAUL VERLAINE IN PRISON IN MONS · Paul Verlaine poème: Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret · Paul Verlaine: Trois Poèmes · J.H. Leopold gedicht: Paul Verlaine · Paul Verlaine: La soupe du soir. À J.-K. Huysmans · Paul Verlaine poésie: Spleen · Paul Verlaine: Nevermore · Paul Verlaine Poésie

Paul Verlaine: Nevermore

Nevermore

Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne
Faisait voler la grive à travers l’air atone,
Et le soleil dardait un rayon monotone
Sur le bois jaunissant où la bise détone.

Nous étions seul à seule et marchions en rêvant,
Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent
Soudain, tournant vers moi son regard émouvant :
« Quel fut ton plus beau jour ! » fit sa voix d’or vivant

Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique.
Un sourire discret lui donna la réplique,
Et je baisai sa main blanche, dévotement.

– Ah ! les premières fleurs qu’elles sont parfumées
Et qu’il bruit avec un murmure charmant
Le premier oui qui sort de lèvres bien-aimées !

Paul Verlaine
(1844 – 1896)
Mon rêve familier
Poèmes saturniens

Photo: Willem Witsen, 1892

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Paul Verlaine: Mon rêve familier

Mon rêve familier

Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant
D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime,
Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même
Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend.

Car elle me comprend, et mon cœur transparent
Pour elle seule, hélas ! Cesse d’être un problème
Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême,
Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant.

Est-elle brune, blonde ou rousse ? Je l’ignore.
Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore,
Comme ceux des aimés que la Vie exila.

Son regard est pareil au regard des statues,
Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a
L’inflexion des voix chères qui se sont tues.

Paul Verlaine
(1844 – 1896)
Mon rêve familier
Poèmes saturniens

Photo: Willem Witsen, 1892

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Paul Verlaine: Nocturne parisien

Nocturne parisien

A Edmond Lepelletier.

Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. —
Sous tes ponts qu’environne une vapeur malsaine
Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris,
Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris.
Mais tu n’en traînes pas, en tes ondes glacées,
Autant que ton aspect m’inspire de pensées!

Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font
Monter le voyageur vers un passé profond,
Et qui, de lierre noir et lichen couvertes,
Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes.
Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers
En reflète, les soirs, des boléros légers.
Le Pactole a son or. Le Bosphore a sa rive
Où vient faire son kief l’odalisque lascive.
Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour
Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour.
Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies,
Berce de rêves doux le sommeil des momies.
Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés,
Charrie augustement ses îlots mordorés,
Et soudain, beau d’éclairs, de fracas et de fastes,
Splendidement s’écroule en Niagaras vastes.
L’Eurotas, où l’essaim des cygnes familiers
Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers,
Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète,
Rhytmique et caressant, chante ainsi qu’un poète.
Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants
Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents,
En appareil royal, tandis qu’au loin la foule
Le long des temples va hurlant, vivante houle,
Au claquement massif des cymbales de bois,
Et qu’accroupi, filant ses notes de hautbois,
Du saut de l’antilope agile attendant l’heure,
Le tigre jaune au dos rayé s’étire et pleure.

— Toi, Seine, tu n’as rien. Deux quais, et voilà tout,
Deux quais crasseux, semés de l’un à l’autre bout
D’affreux bouquins moisis et d’une foule insigne
Qui fait dans l’eau des ronds et qui pêche à la ligne.
Oui, mais quand vient le soir, raréfiant enfin
Les passants alourdis de sommeil ou de faim,
Et que le couchant met au ciel des taches rouges,
Qu’il fait bon aux rêveurs descendre de leurs bouges
Et, s’accoudant au pont de la Cité, devant
Notre-Dame, songer, coeur et cheveux au vent!
Les nuages, chassés par la brise nocturne,
Courent, cuivreux et roux, dans l’azur taciturne.
Sur la tête d’un roi du portail, le soleil,
Au moment de mourir, pose un baiser vermeil.
L’hirondelle s’enfuit à l’approche de l’ombre
Et l’on voit voleter la chauve-souris sombre.
Tout bruit s’apaise autout. A peine un vague son
Dit que la ville est là qui chante sa chanson,
Qui lèche ses tyrans et qui mord ses victimes;
Et c’est l’aube des vols, des amours et des crimes.
— Puis, tout à coup, ainsi qu’un ténor effaré
Lançant dans l’air bruni son cri désespéré,
Son cri qui se lamente, et se prolonge, et crie,
Éclate en quelque coin l’orgue de Barbarie :
Il brame un de ces airs, romances ou polkas,
Qu’enfants nous tapotions sur nos harmonicas
Et qui font, lents ou vifs, réjouissants ou tristes,
Vibrer l’âme aux proscrits, aux femmes, aux artistes.
C’est écorché, c’est faux, c’est horrible, c’est dur,
Et donnerait la fièvre à Rossini, pour sûr;
Ces rires sont traînés, ces plaintes sont hachées;
Sur une clef de sol impossible juchées,
Les notes ont un rhue et les do sont des la,
Mais qu’importe ! l’on pleure en entendant cela !
Mais l’esprit, transporté dans le pays des rêves,
Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves;
La pitié monte au coeur et les larmes aux yeux,
Et l’on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux,
Et dans une harmonie étrange et fantastique
Qui tient de la musique et tient de la plastique,
L’âme, les innondant de lumière et de chant,
Mêle les sons de l’orgue aux rayons du couchant!

— Et puis l’orgue s’éloigne, et puis c’est le silence
Et la nuit terne arrive et Venus se balance
Sur une molle nue au fond des cieux obscurs;
On allume les becs de gaz le long des murs.
Et l’astre et les flambaux font des zigzags fantasques
Dans le fleuve plus noir que le velours des masques;
Et le contemplateur sur le haut garde-fou
Par l’air et par les ans rouillé comme un vieux sou
Se penche, en proie aux vents néfastes de l’abîme.
Pensée, espoir serein, ambition sublime,
Tout jusqu’au souvenir, tout s’envole, tout fuit,
Et l’on est seul avec Paris, l’Onde et la Nuit!

— Sinistre trinité ! De l’ombre dures portes!
Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes!
Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur,
Si terribles, que l’Homme, ivre de la douleur
Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre,
L’Homme, espèce d’Oreste à qui manque un Électre,
Sous la fatalité de votre regard creux
Ne peut rien et va droit au précipice affreux;
Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses
De tuer et d’offrir au grand Ver des épouses
Qu’on ne sait que choisir entre vos trois horreurs,
Et si l’on craindrait moins périr par les terreurs
Des Ténèbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde,
Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde!

— Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant,
Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent,
De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres
Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres!

Paul Verlaine
(1844 – 1896)
Nocturne parisien
Poèmes saturniens

Photo: Willem Witsen, 1892

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‘Blue in Green’ gedicht van Paul Bezembinder

Paul Verlaine drinkt absint in een Café.
(Foto van Paul François Arnold Cardon a.k.a. Dornac, 1892)

 

Blue in Green

Je vindt uiteindelijk je vrouw
en in het coloriet van wouw
en wede stuit je op verdriet.

De insecten vliegen af en aan,
in goud, smaragd en malachiet,
hun schaduw rillend van cyaan.

En in de luister van de vliet,
in het gefluister van het riet,
dient nieuwe poëzie zich aan.

Paul Bezembinder

 

Paul Bezembinder studeerde theoretische natuurkunde in Nijmegen. In zijn poëzie zoekt hij in vooral klassieke versvormen en thema’s naar de balans tussen serieuze poëzie, pastiche en smartlap. Zijn gedichten (Nederlands) en vertalingen (Russisch-Nederlands) verschenen in verschillende (online) literaire tijdschriften. Voorbeelden van zijn werk zijn te vinden op zijn website: www.paulbezembinder.nl

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PAUL VERLAINE IN PRISON IN MONS

Verlaine_Mons11Verlaine. Cellule 252
Turbulences poétiques
History of Paul Verlaine and Belgium

Verlaine’s time in prison in Mons marks a turning point in the artist’s work as well as in his moral life. In July 1873, at a hotel in Brussels, Verlaine shot Rimbaud twice with a revolver. After spending some time in prison in Brussels, he spent most of his sentence in Mons, where he wrote some of his most wonderful masterpieces.

 On 25 October 1873, Verlaine arrived in Mons in his prison wagon. The poet was torn between his family and his passionate love for the young Rimbaud, and he had crossed the line. He shot his lover with a revolver, and spent the rest of his sentence in prison in Mons. In cell 252, Verlaine mulled things over. He thought about his life of debauchery and reflected. How had he arrived at this point? Why could he not draw a line under this destructive passion? In Mons, Verlaine did some soul-searching and turned to religion to heal his wounds. He fell in love with Jesus as he had become infatuated with Rimbaud just a few months earlier. He wanted to re-establish a healthier lifestyle and win back his wife’s trust. To transform intoxication into wisdom. Verlaine’s time in prison in Mons marked a turning point in the artist’s work as well as in his moral life.

Verlaine_Mons12 In his cell, the writer got bored. He spent a lot of time writing. He was granted access to books, and he was not forced to work. In Mons, he wrote some of his most stirring work. He would go on to think of bringing his texts together into a collection called “Cellulairement” (literally, cellularly), but he gave up the idea and these poems were mainly divided between three anthologies: “Sagesse” (wisdom), “Jadis et naguère” (yesteryear and yesterday) and “Parallèlement” (in parallel). The experts are unanimous. From both a human and a literary point of view, his time in prison in Mons transformed Verlaine. He left Hainaut’s capital on 16 January 1875 after being granted an early release, and did not return until twenty years later to give a series of talks. His demons had resurfaced and he was a mere shadow of his former self.

Une coproduction de la Fondation Mons 2015, du Pôle muséal de la Ville de Mons et de la Bibliothèque royale de Belgique.
Until 24/01/2016
BAM – Rue Neuve, 8 – 7000 Mons – Belgium
# Website BAM Mons

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Paul Verlaine poème: Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret

Paul Verlaine

(1844-1896)

 

Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret

Vous êtes calme, vous voulez un voeu discret,
Des secrets à mi-voix dans l’ombre et le silence,
Le coeur qui se répand plutôt qu’il ne s’élance,
Et ces timides, moins transis qu’il ne paraît.

Vous accueillez d’un geste exquis telles pensées
Qui ne marchent qu’en ordre et font le moins de bruit.
Votre main, toujours prête à la chute du fruit,
Patiente avec l’arbre et s’abstient de poussées.

Et si l’immense amour de vos commandements
Embrasse et presse tout en sa sollicitude,
Vos conseils vont dicter aux meilleurs et l’étude
Et le travail des plus humbles recueillements.

Le pécheur, s’il prétend vous connaître et vous plaire,
Ô vous qui nous aimant si fort parliez si peu,
Doit et peut, à tout temps du jour comme en tout lieu,
Bien faire obscurément son devoir et se taire,

Se taire pour le monde, un pur sénat de fous,
Se taire sur autrui, des âmes précieuses,
Car nous taire vous plaît, même aux heures pieuses,
Même à la mort, sinon devant le prêtre et vous.

Donnez-leur le silence et l’amour du mystère,
Ô Dieu glorifieur du bien fait en secret,
À ces timides moins transis qu’il ne paraît,
Et l’horreur, et le pli des choses de la terre,

Donnez-leur, ô mon Dieu, la résignation,
Toute forte douceur, l’ordre et l’intelligence,
Afin qu’au jour suprême ils gagnent l’indulgence
De l’Agneau formidable en la neuve Sion,

Afin qu’ils puissent dire : ” Au moins nous sûmes croire ”
Et que l’Agneau terrible, ayant tout supputé,
Leur réponde : ” Venez, vous avez mérité,
Pacifiques, ma paix, et douloureux, ma gloire. ”

Paul Verlaine Poésie

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Paul Verlaine: Trois Poèmes

 

Paul Verlaine

(1844-1896)

Trois Poèmes


 

A Charles Baudelaire


Je ne t’ai pas connu, je ne t’ai pas aimé,
Je ne te connais point et je t’aime encor moins :
Je me chargerais mal de ton nom diffamé,
Et si j’ai quelque droit d’être entre tes témoins,

C’est que, d’abord, et c’est qu’ailleurs, vers les Pieds joints
D’abord par les clous froids, puis par l’élan pâmé
Des femmes de péché – desquelles ô tant oints,
Tant baisés, chrême fol et baiser affamé ! –

Tu tombas, tu prias, comme moi, comme toutes
Les âmes que la faim et la soif sur les routes
Poussaient belles d’espoir au Calvaire touché !

– Calvaire juste et vrai, Calvaire où, donc, ces doutes,
Ci, çà, grimaces, art, pleurent de leurs déroutes.
Hein ? mourir simplement, nous, hommes de péché.

 

 

Child wife


Vous n’avez rien compris à ma simplicité,
Rien, ô ma pauvre enfant !
Et c’est avec un front éventé, dépité
Que vous fuyez devant.

Vos yeux qui ne devaient refléter que douceur,
Pauvre cher bleu miroir
Ont pris un ton de fiel, ô lamentable soeur,
Qui nous fait mal à voir.

Et vous gesticulez avec vos petits bras
Comme un héros méchant,
En poussant d’aigres cris poitrinaires, hélas !
Vous qui n’étiez que chant !

Car vous avez eu peur de l’orage et du coeur
Qui grondait et sifflait,
Et vous bêlâtes vers votre mère – ô douleur ! –
Comme un triste agnelet.

Et vous n’aurez pas su la lumière et l’honneur
D’un amour brave et fort,
Joyeux dans le malheur, grave dans le bonheur,
Jeune jusqu’à la mort !


 

Lamento


La ville dresse ses hauts toits
Aux mille dentelures folles.
Un bruit de joyeuses paroles.
Monte au ciel, rassurante voix.
– Que me fait cette gaieté vile
De la ville !

Quelle paix vaste règne aux champs !
L’oiseau chante dans le grand chêne,
Les midis font blanche la plaine
Que dorent les soleils couchants.
– Peu m’importe ta gloire pure,
Ô nature !

Avec les signes de ses flots,
Avec sa plainte solennelle,
La mer immense nous appelle,
Nous tous, rêveurs et matelots.
– Qu’est-ce que tu me veux encore,
Mer sonore ?

– Ah ! ni les flots des Océans,
Ni les campagnes et leur ombre,
Ni les cités aux bruits sans nombre,
Qu’édifièrent des géants,
Rien ne réveillera ma mie
Tant endormie.


Paul Verlaine: Trois Poèmes


KEMP=MAG – kempis poetry magazine

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J.H. Leopold gedicht: Paul Verlaine

J. H.   L e o p o l d

(1865-1925)


P a u l   V e r l a i n e  †

 

I
Men mocht wel willen in donzen woorden
van hem te horen, nu hij pas
dood is en wat zijn leven was
voor ‘t eerste stil gaat worden; stoorden

nu woorden niet in zijn beginnen
der vredigheid hem toegebracht
en in de schuwe ernst betracht
door ons, die ons willen bezinnen

over het sidderende, dat wij vonden
in ons; zó het opeens lag neer
in donker, lijden van een zeer
verborgen iets en zeer geschonden.

II
Hoe zoet gesloten, toegesloten
en goed geborgen in donkernis
buiten, waar lente komende is
met regen onder de lucht de blote

een man, die heeft zijn afgewende
leven stil voor zich heen gevoerd,
een povere maar een ontroerd
tedere en hij in zijn ellende

was tot de enige zin gekomen
des levens: dat wij wezen zouden
verscholen, in geduld gehouden
en wegverloren, zó eerst vromen.

Een wijze – en om de dode is veel
van zoetheid en mijmering gebleven
en het bemoeien en dóórleven
der mensen heeft aan hem geen deel.

 

Januari 1896

 

J.H. Leopold gedicht: Paul Verlaine (1844 – 1896)

 

 k e m p i s   p o e t r y   m a g a z i n e

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Paul Verlaine: La soupe du soir. À J.-K. Huysmans

P a u l   V e r l a i n e

(1844-1896)

L a   s o u p e   d u   s o i r

À J.-K. Huysmans

Il fait nuit dans la chambre étroite et froide où l’homme
Vient de rentrer, couvert de neige, en blouse, et comme
Depuis trois jours il n’a pas prononcé deux mots,
La femme a peur et fait des signes aux marmots.

Un seul lit, un bahut disloqué, quatre chaises,
Des rideaux jadis blancs conchiés des punaises,
Une table qui va s’écroulant d’un côté, –
Le tout navrant avec un air de saleté.

L’homme, grand front, grands yeux pleins d’une sombre flamme
A vraiment des lueurs d’intelligence et d’âme
Et c’est ce qu’on appelle un solide garçon.
La femme, jeune encore, est belle à sa façon.

Mais la Misère a mis sur eux sa main funeste,
Et perdant par degrés rapides ce qui reste
En eux de tristement vénérable et d’humain,
Ce seront la femelle et le mâle, demain.

Tous se sont attablés pour manger de la soupe
Et du boeuf, et ce tas sordide forme un groupe
Dont l’ombre à l’infini s’allonge tout autour
De la chambre, la lampe étant sans abat-jour.

Les enfants sont petits et pâles, mais robustes
En dépit des maigreurs saillantes de leurs bustes
Qui disent les hivers passés sans feu souvent
Et les étés subis dans un air étouffant.

Non loin d’un vieux fusil rouillé qu’un clou supporte
Et que la lampe fait luire d’étrange sorte,
Quelqu’un qui chercherait longtemps dans ce retrait
Avec l’oeil d’un agent de police verrait

Empilés dans le fond de la boiteuse armoire,
Quelques livres poudreux de " science " et d’ " histoire " ,
N, Et sous le matelas, cachés avec grand soin,
Des romans capiteux cornés à chaque coin.

Ils mangent cependant. L’homme, morne et farouche,
Porte la nourriture écoeurante à sa bouche
D’un air qui n’est rien moins nonobstant que soumis,
Et son eustache semble à d’autres soins promis.

La femme pense à quelque ancienne compagne,
Laquelle a tout, voiture et maison de campagne,
Tandis que les enfants, leurs poings dans leurs yeux clos,
Ronflant sur leur assiette imitent des sanglots.

 

Paul Verlaine: La soupe du soir.

À J.-K. Huysmans

k e m p i s   p o e t r y   m a g a z i n e

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Paul Verlaine poésie: Spleen

Paul Verlaine

(1844-1896)

S p l e e n

Les roses étaient toutes rouges
Et les lierres étaient tout noirs.

Chère, pour peu que tu ne bouges,
Renaissent tous mes désespoirs.

Le ciel était trop bleu, trop tendre,
La mer trop verte et l’air trop doux.

Je crains toujours, – ce qu’est d’attendre !
Quelque fuite atroce de vous.

Du houx à la feuille vernie
Et du luisant buis je suis las,

Et de la campagne infinie
Et de tout, fors de vous, hélas !

 

Paul Verlaine: Spleen

 

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Paul Verlaine: Nevermore

Paul Verlaine
(1844-1896)

NEVERMORE

Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice,
Redresse et peins à neuf tous tes arcs triomphaux;
Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux;
Sème de fleurs les bords béants du précipice;
Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice!

Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni;
Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides;
Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides:
Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni;
Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni.

Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!
Car mon rêve impossible a pris corps, et je l’ai
Entre mes bras pressé: le Bonheur, cet ailé
Voyageur qui de l’Homme évite les approches.
-Sonnez, grelots; sonnez, clochettes; sonnez, cloches!

Le Bonheur a marché côte à côte avec moi;
Mais la FATALITÉ ne connaît point de trêve:
Le ver est dans le fruit, le réveil dans le rêve,
Et le remords est dans l’amour: telle est la loi.
-Le Bonheur a marché côte à côte avec moi.

 

Poem of the week

June 22, 2008

 

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Paul Verlaine Poésie

 

 

 

LE  ROSSIGNOL
Comme un vol criard d’oiseaux en émoi,
Tous mes souvenirs s’abattent sur moi,
S’abattent parmi le feuillage jaune
De mon coeur mirant son tronc plié d’aune
Au tain violet de l’eau des Regrets,
Qui mélancoliquement coule auprès,
S’abattent, et puis la rumeur mauvaise
Qu’une brise moite en montant apaise,
S’éteint par degrés dans l’arbre, si bien
Qu’au bout d’un instant on n’entend plus rien,
Plus rien que la voix célébrant l’Absente,
Plus rien que la voix,–ô si languissante!–
De l’oiseau qui fut mon Premier Amour,
Et qui chante encor comme au premier jour;
Et, dans la splendeur triste d’une lune
Se levant blafarde et solennelle, une
Nuit mélancolique et lourde d’été,
Pleine de silence et d’obscurité,
Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure
L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure.


A  LA  PROMENADE
Le ciel si pâle et les arbres si grêles
Semblent sourire à nos costumes clairs
Qui vont flottant légers avec des airs
De nonchalance et des mouvements d’ailes.

Et le vent doux ride l’humble bassin,
Et la lueur du soleil qu’atténue
L’ombre des bas tilleuls de l’avenue
Nous parvient bleue et mourante à dessein.

Trompeurs exquis et coquettes charmantes
Coeurs tendres mais affranchis du serment
Nous devisons délicieusement,
Et les amants lutinent les amantes

De qui la main imperceptible sait
Parfois donner un soufflet qu’on échange
Contre un baiser sur l’extrême phalange
Du petit doigt, et comme la chose est

Immensément excessive et farouche,
On est puni par un regard très sec,
Lequel contraste, au demeurant, avec
La moue assez clémente de la bouche.

Paul Verlaine

Paul Verlaine (1844-1896)

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