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Mireille Havet
(1898-1932)
Connaissance
À la comtesse Jean de Limur
La vie souple, comme une cravache
en plein visage m’a flagellée.
Je m’en vais douce, inoffensive
dans le crépuscule printanier
qui emplit les rues de jeux de billes,
de marelles étoilées.
La lampe
allumée sur le potage,
les faïences,
tel qu’on aurait pu être,
Mais la vie trop souple
de sa fine lanière cingle
les enfants tristes,
et l’âme se plie féline,
domptée
vers la mort qui est sa récompense.
Les enfants du cordonnier
jouent dans la cour
avec des cris qui montent
rappelant des hangars, des faubourgs ;
un arbre bouge tout pointé
de bourgeons verts
et mes larmes sourdes et tenaces
sont prises en moi,
source merveilleuse qui chemine
et s’en va
sous la terre
s’épuiser au long des larmes stériles
de l’amour,
sous la lune grise
qui annonce la belle saison,
les mains enlacées
les lents et balancés
retours à la maison
— la nuit —
au matin l’aubépinier entier s’était fleuri,
et contre moi
comme une bête,
comme un ange terrassé
j’étrangle ma joie d’hier
neuve, insolente
et dont j’aimerais mourir
Ô solitude
magnifique et suprême
que ton dur visage
se mesure bien à mon regard,
face à face comme toujours,
mon âme nue se déploie
au silence des larmes.
Toute ma jeunesse me tire cependant
m’entraîne,
dans l’incroyable
foule humaine
et je reprends la chaîne qui nous lie
à la terre.
Il n’y a rien d’autre,
le pain quotidien
le travail
la jouissance étonnante
du chagrin
qui ressemble à la mer.
Nous mourons d’espoirs,
de nuances douces couleur de lilas
et plus fragiles encore au contact
des doigts
que le bleu effronté des papillons des îles.
Le coup direct ne tue pas si bien
que l’aiguillon secret
qui taquine en silence,
hameçon subtil
glissé dans l’eau
entre les tiges de lotus blancs.
Promenades en bateau,
première étoile
naissante
et qui éclate comme une fleur
à l’horizon des anges,
Vénus au nom de malheur.
J’ai tout vu
le balancement des rames
au fil du courant,
la main douce dans la petite vague
le charme des femmes
leur tendresse navrante
caprice sentimental d’un instant
ont perdu mon âme
qui cherchait leur douceur.
Hamlet, Ophélie, les deux pigeons.
Je poursuis le dérisoire visage de l’amour
au seuil condamnable
au seuil écolier
de mes vingt ans.
Très menteuse et très chère
je vous dédie et je vous signe
ce poème,
vous y retrouverez
tout ce que vous détestez en moi
et même le peu que vous aimiez.
Le jeu est fini
la comédie terminée,
je m’en retourne
front lourd et jambes rompues
vers mon enfance
à la poursuite de la lumière
que vous m’avez empoisonnée.
Ô menteuse
la plus cruelle,
souriez à l’éternelle méchanceté humaine
qui me fit en neuf jours
votre petit arlequin bariolé
et ce soir le pierrot balafré
qui vous quitte
visage blanc camouflé de gifles
dans l’incohérence crépusculaire
et douce
du printemps.
La Revue européenne n°3 (1er mai 1923)
Mireille Havet poetry
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Mireille Havet
(1898-1932)
Le voyage
Hier, j’ai rencontré le voyage.
Il m’a dit bonjour. Il m’a dit : viens-tu ?
Son beau train flambant soufflait, sur les rails comme le cheval qui piaffe entre les rênes sûres.
Il m’a dit : regarde, le ciel lavé d’après les grêles d’avril est ouvert à la sortie du hall et voici déjà la campagne offrant les deux paumes de ses plaines, les longues sentes effilées de ses doigts accrochés aux forêts mitoyennes et ses ongles purs où sourit une étoile, qui sont les lacs, les fontaines, les abreuvoirs au seuil des fermes et la source jaillissante qui s’égrène entre la haie de crocus.
Va ! Prends la portière, ne consulte point d’indicateur, Toutes les heures sont belles et toutes les lignes sont bonnes… Si tu es un conquérant, il n’y a que le voyage !
Et je suis restée immobile et timide.
Le beau train dans la gare a sifflé… Son dernier wagon sur la voie qui tourne s’en est allé, tremblant comme un grelot noir.
Au retour, la ville me parut plus meurtrière encore. Je toussais le long de ses quais interminables. Enfant Prodigue qui avait refusé l’espace comme on renvoie un chien errant.
J’ai repris la routine des jours, l’oisiveté qui dévore plus que l’amour… Le grand licol de la ville baille autour de mon cou et cependant je n’ai pas su m’enfuir, craignant peut-être la solitude et la rencontre de mon âme que je veux croire perdue ?
Mais, au tournant de la rue, entre deux voitures qui se heurtaient, je l’ai rencontrée, mon âme. Elle sautait devant moi comme une petite fille folle et ses deux mains tremblantes se secouaient dans l’air. Elle avait cependant un tablier rosé… On aurait dit une meurtrière de huit ans. Comme j’allais l’atteindre, un camion m’en à séparée,… dès qu’il fut passé, je bondis, mais hélas je ne trouvai plus, planté dans l’herbe courte des Champs-Elysées, qu’un petit coquelicot maigre et ardent qui battait de la crête comme un petit coq malade.
Alors, je suis passée, prononçant des mots de tristesse vagues et mouvants comme des algues et qui se perdirent dans la rumeur de la ville, s’unissant au cri perpétuel de Paris qui nous enfarine, afin d’en poudrer son ciel clair, nos rêves les plus beaux, nos chairs les plus fines et nos désirs avortés d’univers.
Paris 1918
Revue Les Écrits Nouveaux Tome III – N°20 (Aout 1919)
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Mireille Havet
(1898-1932)
Sur un tableau cubiste
Et mon rêve s’est penché sur le tableau cubiste
Harmonieux comme lui il a pris la forme profonde
de ses courbes.
Plus rien
Mon rêve oublie le monde, il s’enfonce et l’espace entier
fait place à ma pensée.
Les choses ne sont plus… Ah ! qu’importe les CHOSES
comme un arc-en-ciel, elles se décomposent
Prisme d’idée
Prisme de sensation
Réalisation enfin nouvelle d’une beauté simplifiée
comprise et universelle.
Vie simple
Sonorité sans limite
lumière ronde de ces lignes et s’emboîtant dans elle
comme des poupées russes.
Oh ! je vois des choses…
non! des lumières… le Paradis quand il était
situé dans le ciel devait avoir de ces profondeurs :
morceau de clarté jaillissante me faisant penser
à une tasse de porcelaine blanche au milieu d’un
crépuscule printanier.
Ombre divinement infinie
Ombre où l’on tombe comme une âme après la mort
doit tomber dans l’éternité.
Et mon rêve et moi-même sont entrés dans ces formes,
tels des pierres dans une maison neuve
Ne m’appelez plus maintenant, ne me demandez
plus rien de la vie : je pars — je suis partie
navire lointain sur la mer sans fin
On ne rappelle pas un navire. On ne rappelle pas
une pensée
et combien de sifflets, ce soir, annoncent des départs
auxquels vous ne songez.
Mireille Havet: Sur un tableau cubiste (‘ La culture physique ‘ de Picabia, exposée aux Indépendants en 1914)
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Mireille Havet
(1898-1932)
À un très petit enfant
Pendant la Guerre
Le vent qui souffle ! Tu ne t’en occupes pas.
La guerre qui souffle ! Tu ne t’en occupes pas.
Peu à peu tu apprendras
que sur la terre il y a des orages
et la pluie drue pendant des jours.
Peu à peu tu apprendras
que la haine existe vivace et ardente :
Et le désir de tuer des hommes innocents
parfaitement inconnus de nom et de visage
…. qui auraient pu être des frères
si on avait voulu !
Ô Toi ! Né pendant la guerre
la plus folle ! la plus absolue.
Toi ! spectateur impassible et incompréhensif
qui ne jugeras que bien plus tard,
quand seront éteintes les flammes
et balayées les cendres.
Toi ! qui viens pour reconstruire
avec toute la tendresse de ton regard
bien disposé et sans méfiance,
avec tes mains si douces…. et roses
où peu à peu se dessineront
les grandes lignes de l’existence.
Te voici envoyé vers nous,
avec la perspective de ton enfance
inconsciente et échevelée,
pendant que se finira la guerre démente
et que nous planterons nos croix !
Tu ne viens, ni pour pleurer
ni pour souffrir
en quoi que ce soit, du malheur de notre année !
Tu viens, Promesse d’Avenir,
pour établir et contempler la paix !
Ô mon petit Enfant,
pour l’instant, dans le soleil,
tu joues avec le sable de cette terre
pour laquelle le sang coule
incompressible depuis des mois !
Et tout à l’heure, quand le soleil dormira
sur nos chantiers de morts,
tu souriras à la lumière de ta veilleuse
entre les voiles de ton berceau blanc.
Tu ne sais rien. Ton âme est close.
Tu es la chrysalide du lendemain.
Et je te regarde, affolée par tant d’innocence
et de certitude.
Ta tâche n’est pas la plus douce.
Constructeur parmi les décombres :
Il te faudra aller sans défaillance,
ne pas croire que la vie est mauvaise
parce que la mort fut un instant
la plus forte !
Tout reprendra avec tes soins.
Génération de vie laborieuse et fervente
après notre génération de sacrifices et de croix
— Efflorescence merveilleuse sur nos morts. —
Le soleil se refera d’une clarté éblouissante
et le blé sera haut dans les champs
avec des cigales dedans.
Des maisons blanches seront bâties
au bord des rivières :
au bord de la Meuse, de la Marne, du Rhin !
Et vous saurez être heureux encore
d’un bonheur neuf et vigoureux
comme votre sang d’enfants nés pendant la guerre.
Mais en ce moment : Tu dors,
ignorant la terre, le vent, la lutte ;
tes yeux fermés abritent le secret
de ton âme
qui est bien la plus forte…
avec son rôle à venir
et l’inconscience de son rêve actuel
où se mire l’éternité.
La Maison dans l’œil du chat
Paris, éditions Georges Crès & Cie, 1917
Mireille Havet poetry
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Mireille Havet
(1898-1932)
Arlequin
Mon petit Arlequin
si triste sur le divan
dans la journée molle et que creuse l’orage
aux labours du printemps
tu as chu comme une feuille balancée
pétale détachée qui s’envole
En culotte de soie de toutes couleurs
tes jambes fines en lignes coupées
par les ramages
voyant paysage d’une féerie
de mauvais aloi
où les pommes ont des yeux
et les oiseaux trois pattes
Tu étales dans l’argenterie d’un crépuscule
tout balancé de pluie et d’arrosage
ta souplesse infernale
de sauts périlleux et de scandales
Arlequin mon petit camarade
aux gestes de pantin
qui donc aujourd’hui a tenu
la ficelle de ta belle âme
qui donc a tiré l’élastique de tes quatre membres
que je te vois si pâle et si défait
dans ce costume
qui appelle la bâtonnade
d’un pierrot ridicule
Les jardins ont versé leurs odeurs
sur la route
toute une procession de marronniers
en fleurs
de lilas doubles et de tulipes
quelqu’hirondelle basse écorcha ses ailes
au rosier
et l’orage s’est ouvert
ronronnant troupeau d’abeilles
au ciel électrique de lumière
Alors
abrités par ta maison claire
et mariés d’avance sous le joug diluvien
de l’averse
nous avons cherché
toi familier des planches
et des ramages et des fards
et moi voyageur prodigue au mouchoir
à carreaux faisant mon tour de France
la double douceur de nos chairs nerveuses
illuminées par la saison nouvelle
ses aubes claires et ses rossignols
j’entendais ruisseler les gouttières
et s’abreuver la terre molle
où germent les graines potagères
j’entendais rabattus par le vent
les volets claquer au balcon
et ces intermittences de tonnerre
Longtemps je garderai aux doigts
le souvenir de ta culotte soyeuse
je te cherchais à travers
l’arc-en-ciel
et l’odeur des géraniums
mon petit frère perdu dans les mascarades
et les confettis
mon petit dévoyé de l’école
que faisons-nous
Et pourquoi pas plutôt l’atlas ouvert
sur nos genoux
ou bien les rois de France
Apprendre enfin pour devenir des hommes
Ah ! tu es pris sous moi pris
nous nous entrouvrons sur le néant
du monde
Voilà que chancelle le masque de tes yeux
ta bouche trop rouge
où j’ai mordu l’admirable forme
sa lampe à la main
Arlequin est à la fenêtre
son profil ausculte la nuit
la douteuse lumière pose
des ronds ensoleillés
Sur ses hanches satinées
de danseur immobile
et je me tourne inquiet
pour mieux voir
Car dans mon rêve
j’avais ôté son masque
son petit masque de velours
Si bien ajusté
Cependant
à ses joues chaudes
et son visage entier
m’était apparu
Arlequin
regarde-moi
du mensonge
dans un arc si pur
Vais-je découvrir enfin le haut de ton visage
car tes pupilles claires
dans l’échancrure noire
Arlequin
vais-je savoir
quel dieu
tu es
Mais
dans la nuit venue
où se dresse sur un nuage tourmenté
la petite serpe de la lune enchantée
qui servit à trancher
tant de pavots magiques
Dans la nuit où se recomposent
les jardins échevelés par la pluie
et leurs odeurs mêlées
jeu de patience que brouilla l’orage
je m’éveille
Aladin
Surpris par un rêve incroyable
Est-il vrai que c’était mon visage
une telle ressemblance est-elle possible
mon visage sous ton masque
que j’embrassai toute une nuit
Bientôt, dit-il, je te quitterai pour toujours
le jeu a duré bien longtemps pour mon arlequinade
je ne sais vraiment ce qu’il m’a pris
entend les coqs qui ouvrent les routes
de l’aurore
II faut que j’aille réjouir les villes
leur petit guignol de planches et d’or
avant que le matin ne ternisse de rosée
mon brillant costume
Il faut que j’aille danser
rejoindre Colombine
et tous les autres
que serait la comédie sans Arlequin
Vraiment que serait la comédie
tu n’y songes pas
Il parlait à demi tourné vers la fenêtre
et l’ombre me cachait sa figure
c’est alors que m’étant levé
pour le rejoindre
d’une jambe souple
il sauta
dans le vide
Arlequin
le masque détaché par la chute
vient s’abattre oiseau triste
dans mes mains
et je ne vis plus
sur les routes de l’aurore
S’en allant à reculons
avec des gestes de parade foraine
qu’un petit pantin mécanique et bouffon
dont le visage levé
IDENTIQUE AU MIEN
…..souriait obstinément vers le jour
Revue Les Écrits Nouveaux Tome IX – nr 6 (juin 1922)
Mireille Havet poetry
fleursdumal.nl magazine
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Mireille Havet
(1898-1932)
Histoire du petit cheval noir
Le petit cheval, noir comme du jais, trotte sur la route de campagne. Ses deux oreilles bien levées comme des cornets à surprise et sa queue empanachée comme un plumeau qu’agite la brise.
Il est content, le petit cheval, parce que l’air est bleu sur toute la campagne. La carriole qui sonne derrière sa croupe luisante est légère et le paysan Mathieu gai et propre dans sa blouse bleue, n’emporte jamais de fouet.
« Ah les beaux cailloux ! comme ils roulent bien sous mes quatre sabots, pense le petit cheval, et que mon estomac est agréablement rempli d’avoine. Allons, vite, vite à la ferme qui est située dans la vallée. Là, je retrouverai un petit cheval blanc que j’affectionne énormément. »
Mais voilà, que sous le lourd soleil de midi, qui est monté au fond du ciel, le gai paysan Mathieu s’est endormi. Sa bonne grosse tête est secouée de droite à gauche, de gauche à droite, par les cahots de la voiture et, devant ses yeux clos, passent des visions champêtres… La route, avant d’arriver à la ferme est raide, si raide, qu’on n’y pourrait jouer à courir sans tomber.
Mais, le petit cheval ne sait pas cela, parce qu’une main sûre, jusqu’à ce matin-là, avait toujours tenu ses guides. Et de toute la force de ses quatre jambes solides il se lance dans le sentier, avec par derrière lui, la carriole sonnante. Ah ! qu’est-il arrivé ?
Mathieu fut réveillé par une grande secousse, qui le projeta en l’air, comme une balle, et par un hennissement pitoyable. Le petit cheval noir, plié sur ses genoux de devant, était recouvert, à moitié, par la carriole qui pesait sur son dos… et il hennissait… il hennissait, parce qu’il avait mal à ses genoux écorchés.
« Ah ! pensait le petit cheval, comment faire maintenant ? j’ai si mal ! et je n’ai pas la force de me relever. J’étais si heureux de courir, avec du soleil de tous les côtés et l’air piquant dans mes naseaux ouverts. Maintenant je vais boiter comme un vieux cheval infirme. Quelle tristesse ! » Et il pleurait.
Ce n’est qu’une heure après, que Mathieu avec, d’autres garçons, purent dégager le petit cheval noir et l’aider à se relever.
Mais dans quel état ! Toute la peau de ses genoux enlevée. Ses pauvres genoux ! On le ramena à son écurie : là-haut, sur le coteau, pendant que le soleil se couchait, comme cela, avec une multitude de rayons. Le ciel ressemblait à un champ de blé.
Et le petit cheval sentait son cœur lourd comme une grosse pierre et il se disait : « Vais-je mourir ? » Mais il ne mourut pas. Ce n’était que des écorchures. On le soigna très bien. On le fit reposer et on lui donna abondamment à manger.
Cependant depuis, il n’a jamais voulu, mais jamais ! reprendre le chemin en pente qui conduit dans la vallée.
La Maison dans l’œil du chat. Paris, éditions Georges Crès & Cie, 1917
Mireille Havet poetry
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Mireille Havet
(1898-1932)
C’est ce désir du monde
À Mlle Lilie de Lanux
C’est ce désir du monde
qui m’hallucine !
La hantise de ce qui reste à créer
dans les contrées
neuves comme mon ardeur.
L’aube monte,
éclate aux vitres et joue un instant
avec les rainures du volet.
C’est avant l’aube qu’il faut partir..!
La douceur du jour vous rattache aux choses
qui ont bercé l’enfance.
Avec rudesse : il faut partir !
Ceindre ses reins de la ceinture d’acier
dont les clous mordent la chair
à la moindre défaillance.
Traverser le jardin, sans cueillir de fleurs,
ne pas s’attarder à la barrière qui grince !
Partir… avant l’heure.
C’est la rudesse qui dirige.
C’est la ligne droite et la route poudreuse,
dans l’aurore malléable,
qui attirent.
Et la poussière se fait légère et douce
aux talon nus
qui s’y enfoncent avec volupté !
Les horizons ne sont pas des mythes
Ils sont là pour être traversés ! vaincus ! Livrés !
Tous les secrets des montagnes,
toute la langueur des rivières,
toute la force mystique de l’océan indomptable
et le désert, qui noie, mieux que l’onde
sont pour nous.
Pour Toi : Voyageur désirable !
Que rien n’harasse et que rien ne déçoit :
avec ta besace grise sur ta hanche
ton dur bâton !
Sans arme ! Et sans fortune !
Livré au ciel, comme Jésus-Christ
Le fut aux hommes,
Livré avec le seul vêtement
de ta chair : à la source
qui coule en chantant
sur tes reins.
Les cimes ! Les cimes !
Nous appellent, se dressant
multiples et farouches
comme un désir qui s’amplifie.
Elle s’exhaussent
les unes sur les autres,
harcelant nos yeux
qui ne peuvent tout posséder !
Ô courses folles
dans la nuit,
avec les constellations jusqu’aux épaules
et la tentation de les prendre à pleine main.
Usure exquise de tout ce qui dort en nous
et s’éveille, au contact des ouragans
et des soleils,
absorptions entière de la Terre
par tous les pores de la peau
cuivrée, durcie !
Possession enfin palpable
de ce que Dieu donna à l’homme
pour l’aider à conquérir le ciel.
Possession unique !
Dure comme un arc bandé,
dont la flèche serait,
un désir insatiable
d’une portée illimitée.
Voici la nuit sur la ville.
En haut de la grande Tour,
un paon s’éploie
comme un drapeau d’azur.
Et c’est le signe !
Et c’est le flambeau !
Ah ! Partons sans détour,
pendant que la soif dure encore
et avant d’être résignés.
Pendant que sur ce mur, l’oiseau sonore
clame la détresse des prisonniers.
Dans mes libres membres bouillonne,
La folle promesse de l’univers
qui s’abandonne
à mon désir.
Revue La Presqu’île n°4 (octobre 1916)
Mireille Havet poetry
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Mireille Havet
(1898-1932)
Adieu à la Touraine
À Christiane et à Paul Aeschimann
Ah ! c’est bien tentant de se casser la figure
et d’épanouir son sang sur la terre dure !
Par la fenêtre ouverte : se jeter !
Mourir !
Et le crépuscule laisse monter la lune.
Touraine ! Terre de nos rois,
cœur de France, qu’entoure la guerre
comme un serre-téte sanglant
Touraine !
Tu te mires dans la rivière
avec le croissant de la lune nouvelle.
J’ai vu ton soleil s’évanouir sur la forêt,
glisser avec langueur le long des troncs ambrés,
répandre avec volupté
l’amour de ses flancs dilatés
par cette dernière étreinte d’Automne,
et les rivières, à travers Toi ! Touraine !
à travers toi ! ma France !
s’en vont claires comme des veines
sillonnant tes champs de gais reflets d’argent.
Voici le dernier soir !
La vie nouvelle réclame à chaque instant
une ferveur nouvelle,
et c’est déjà le Départ.
Dernier soir campagnard, ma douleur est intense.
Touraine qui m’as reçue pendant un an de guerre,
à Toi j’adresse ce soir
un dernier appel et une dernière prière.
Tu ne m’as pas trop donné, Touraine !
j’ai su te comprendre et j’ai su t’aimer.
Belles chevauchées des rois à travers la forêt,
vous hantez mes rêves et je pars à regret.
Mais ainsi…..
La guerre perpétuelle aiguise ma nostalgie.
C’est la vie que j’appelle !
Que la mort soit bannie !
Toute ma force se révolte en te contemplant
ma terre !
Toi que l’on a voulu prendre,
que l’on a voulu enlever à ma jeunesse
et que j’aime d’un amour illimité !
Les voitures passent sur le pont.
La roue du moulin tourne près du pont.
J’entends son rythme lent
et le saut des poissons (sous le pont).
Tout cela va finir.
C’est le dernier soir.
Je ne verrai plus le jardin provincial
avec ses fouillis d’herbe
et son grand ciel d’étoile.
Éperdument je me rejette dans la vie bourdonnante,
dans Paris : ma ville fascinante.
Mais le triste attrait de ce que l’on quitte
me retient en arrière…
Ah ! faiblesse ! Mauvaise constitution de l’homme
en face de l’Avenir !
Il faut partir,
Éternellement quitter.
Le but n’est pas ici. Il est beaucoup plus loin,
derrière la mort, — en dehors de l’atteinte de nos mains
Mais que ce serait bon de l’atteindre tout de suite,
avant d’être fatigué par les nombreuses étapes !
De l’atteindre en pleine force,
du haut de cette fenêtre,
et d’épanouir son sang
dans le sang de l’Automne,
de la guerre perpétuelle
et du canon qui tonne !
Ah ! le désir de vivre est encore le plus fort !
Je suis liée à mes dix-sept ans par un sort
et Je ne peux me sauver…..
France, sur toi, sur ton poitrail calme,
mais cerné de frontières enflammées,
je m’écrase ce soir !
flambante, Moi aussi, du désir de savoir !
Sur cette calme Touraine que je domine
de toute ma destinée incertaine,
je m’appuie pour commencer ma Vie !
Base de terre qui ne croulera pas
sous le poids de ma jeunesse,
tu seras mon point de départ,
et ton ciel verse en moi
toute l’allégresse
qui berça nos rois !
Revue Le Mercure de France n°431 (1er juin 1916)
Mireille Havet poetry
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Mireille Havet
(1898-1932)
Le petit cimetière
Derrière le mur du petit cimetière, il y a une chèvre blanche qui mange de l’herbe verte. Derrière le mur du petit cimetière.
Devant le mur du petit cimetière, il y a la place aux pavés inégaux. Devant le mur du petit cimetière. A l’intérieur du petit cimetière, il y a des rangées de tombes et un champ de croix. A l’intérieur du petit cimetière il y a des croix, des croix, des croix !
Beaucoup sont noires, en simple bois ; d’autres en fer aux garnitures touillées, d’autres en pierre, aux fannes ouvragées. Elles sont toutes neuves, ou bien très vieilles, et sur la pierre humide des tombes, ou sur les pierres de granit gris, des fleurs se fanent et l’herbe pousse.
Là sont réunis sous la terre, le tout petit enfant au grand sage, le voleur au prêtre, l’ennemi à l’ennemi et l’ami à l’amie. Là sont réunis sous la terre tous ceux que la vie a séparés. Mais la terre garde bien son secret, elle ne dit pas où sont ses morts et où, nous serons, nous les vivants. Mais la chèvre mange son herbe verte derrière le mur du petit cimetière.
Ah! que de gens, que de gens, que de gens! qu’une chèvre blanche garde en paissant.
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