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Jean Jaurès
(1859 – 1914)
Sous les étoiles
La prairie où reluisent les brins d’herbe et les fleurs semble,
dans les jours d’été, je ne sais quelle couche plus épaisse et
plus grasse de clarté déposée tout au fond d’un océan infini de
lumière subtile. De même, dans les nuits baignées de lune, les
étoiles sont comme des gouttes de lumière concentrée en un
lac de limpidité légère.
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Jean Jaurès
(1859 – 1914)
Dans le bleu
L’effort de la lumière pour percer l’obstacle s’exprime par le
rayon jaune et lui donne un sens ; l’effort de l’ombre pour venir
à nous à travers la lumière, en l’adoucissant et en s’y égayant,
s’exprime par le rayon bleu.
Il serait singulier, en effet, que la lumière bleue se manifes-
tât toujours quand un fond obscur est vu à travers la clarté, et
que ce fait-là n’eût point de signification. Quand un vase d’eau
claire est posé sur un fond noir, l’eau paraît bleuâtre. Dans les
rayonnantes journées d’été, l’ombre portée sur un mur blanc,
vu à distance, semble bleue : les montagnes noires, à mesure
qu’on s’en éloigne par un beau temps, bleuissent ; et lorsque,
au couchant, un nuage sombre, voisin du soleil, au lieu de s’in-
terposer entre lui et nous, reçoit à sa surface les rayons glis-
sants, il apparaît d’un bleu admirable et il se confond avec le
bleu même du ciel ; si bien que, quand le soleil se cache et que
le prestige s’évanouit, l’œil est étonné de trouver un pesant
nuage là où il n’avait cru rencontrer que la pureté profonde de
l’air. Le ciel qui, la nuit, quand il n’est éclairé que par les
étoiles, est noir, vu à travers la lumière du soleil, apparaît bleu.
Ainsi toutes les grandes manifestations de la couleur bleue
sont liées aux mêmes conditions ; est-ce là un fait fortuit ? Le
bleu, comme pour bien marquer son rapport à l’obscur, confine
au noir et au gris par une multitude de degrés. Le soir, une
partie du ciel est déjà noire qu’une autre partie est encore
bleue ; et il semble au regard qui en fait le tour qu’il passe
seulement d’un bleu plus clair à un bleu plus sombre. À mesure
qu’on s’élève en ballon vers les hauteurs du ciel, le bleu est
plus sombre et plus voisin du noir.
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Jean Jaurès
(1859 – 1914)
La Couleur Fille De La Lumière
Pourquoi la couleur ne serait-elle pas un produit de notre sphère? Pourquoi ne supposerait-elle pas des conditions qui ne soient pas réalisées dans l’indifférence de l’espace infini? Elle ne se manifeste aux sens qu’à la rencontre de la lumière et de ce qui est essentiellement contraire à la lumière, les corps résistants. Pourquoi donc supposer qu’elle est déjà contenue dans la lumière? On a la ressource de dire qu’elle s’y cache et qu’elle attend, pour se montrer, que la libre expansion de la clarté rencontre un obstacle. Mais il est permis de penser aussi que ce qui se cache si bien n’existe pas encore ; la couleur est fille de la lumière et de notre monde corporel et lourd. Pourquoi en appesantir la lumière elle-même dans son expansion une et simple à travers l’infini? Quel sens auraient le vert et le rouge dans les espaces indifférents? Ici ils résultent de la vie et ils l’expriment dans son rapport avec la lumière; hors de la sphère vivante, ils n’ont pas de sens . . .
Par les couleurs, la lumière fait amitié avec notre monde: la couleur est le gage d’union; la matière pesante peut enrichir l’impondérable en manifestant d’une manière éclatante ce qui se dérobait en lui; l’obscurité, en faisant sortir les couleurs de la lumière, lui vaut, dans notre sphère, un joyeux triomphe; et la lumière en même temps, en s’unissant à la matière pesante dans la couleur, l’allège et l’idéalise: rien ne demeure stérile; tout fait œuvre de beauté. Les molécules dispersées dans l’air nous donnent les splendeurs du couchant; l’obscurité infinie des espaces vides, se répandant dans la clarté du jour, l’adoucit en une charmante teinte bleue; le mystère même de la nuit et la brutalité de la lumière, saisis au travers l’un de l’autre et l’un dans l’autre, conspirent à une merveilleuse douceur: le jour manifeste la nuit; car, plus la lumière est abondante et pure, plus le ciel est profond, et plus le regard devine l’immensité des espaces qui sont au delà; et le soir, quand le voile de clarté tombe pour laisser voir la nuit à découvert, on la trouverait bien vulgaire et bien triste, si elle ne s’emplissait lentement d’un autre mystère.
Devenue expressive dans la couleur, la lumière s’est rapprochée du son: elle peut concourir avec lui à manifester l’âme des choses; tandis qu’un son qui s’élèverait dans la pure clarté serait comme une voix dans le désert, sans rien qui la soutienne ou lui réponde, les sonorités du monde s’harmonisent à ses splendeurs. La magnificence ou la tristesse des teintes correspond à la plénitude joyeuse ou à la douceur voilée des sons: la lumière, dans sa lutte et son union avec l’obscurité, est devenue dramatique, et elle s’accorde avec un monde où tout est action; l’ombre, en pénétrant dans la clarté, y a glissé d’intimes trésors de mélancolie que le bleu pâlissant du soir communique à l’âme, et la sérénité impassible de la clarté pure est devenue, au contact de l’ombre qu’elle dissipe en s’y transformant, quelque chose de plus humain, la joie.
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Jean Jaurès
(1859 – 1914)
Le secret de l’univers
Dans ces profondeurs transparentes de l’espace, qui se prêtent
à toutes les formes changeantes de nos rêves et qui sollicitent
toutes les aspirations de notre âme, reluit et frissonne le secret
même de l’univers. L’invisible devient visible dans cette mani-
festation à la fois idéale et réelle qu’est l’espace. Trompés par
la brutalité et la grossièreté de certains contacts matériels,
nous pourrions croire à la brutalité et à la grossièreté de la
matière elle-même. L’espace est un rappel immense et perma-
nent à l’idéalité de la matière. Ceux qui contemplent, aiment et
comprennent l’espace profond savent, sans s’en douter, ce
qu’est la matière. C’est en ce sens nouveau qu’on peut dire :
« Les cieux racontent la gloire de Dieu », et les simples, les
humbles, quand ils répandent dans la sérénité du soir une âme
vivante et bonne, quand ils mêlent doucement leur pensée à
l’espace recueilli, lisent sans le savoir, dans l’infini qui est sur
leur tête, le secret de la poussière qu’ils foulent aux pieds.
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Jean Jaurès
(1859 – 1914)
La voix des choses
Même pour la conscience superficielle, le son contient évidem-
ment quelque chose des existences qu’il traduit. Le son pesant
et large de la cloche met en nous un moment l’âme lente et
lourde du métal ébranlé. Et, au contraire, j’imagine qu’à en-
tendre, sans en avoir jamais vu, un verre de cristal, nous nous
figurerions je ne sais quoi de délicat et de pur. Le bruit mélan-
colique, monotone et puissant d’une chute d’eau traduit bien à
l’oreille cette sorte d’existence confuse du fleuve où aucune
goutte ne peut vivre d’une vie particulière distincte, où tout est
entraîné dans le même mouvement et dans la même plainte.
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