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Théophile Gautier
(1811-1872)
A deux beaux yeux
Vous avez un regard singulier et charmant ;
Comme la lune au fond du lac qui la reflète,
Votre prunelle, où brille une humide paillette,
Au coin de vos doux yeux roule languissamment ;
Ils semblent avoir pris ses feux au diamant ;
Ils sont de plus belle eau qu’une perle parfaite,
Et vos grands cils émus, de leur aile inquiète,
Ne voilent qu’à demi leur vif rayonnement.
Mille petits amours, à leur miroir de flamme,
Se viennent regarder et s’y trouvent plus beaux,
Et les désirs y vont rallumer leurs flambeaux.
Ils sont si transparents, qu’ils laissent voir votre âme,
Comme une fleur céleste au calice idéal
Que l’on apercevrait à travers un cristal.
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Coquetterie posthume
Quand je mourrai, que l’on me mette,
Avant de clouer mon cercueil,
Un peu de rouge à la pommette,
Un peu de noir au bord de l’oeil.
Car je veux dans ma bière close,
Comme le soir de son aveu,
Rester éternellement rose
Avec du kh’ol sous mon oeil bleu.
Pas de suaire en toile fine,
Mais drapez-moi dans les plis blancs
De ma robe de mousseline,
De ma robe à treize volants.
C’est ma parure préférée ;
Je la portais quand je lui plus.
Son premier regard l’a sacrée,
Et depuis je ne la mis plus.
Posez-moi, sans jaune immortelle,
Sans coussin de larmes brodé,
Sur mon oreiller de dentelle
De ma chevelure inondé.
Cet oreiller, dans les nuits folles,
A vu dormir nos fronts unis,
Et sous le drap noir des gondoles
Compté nos baisers infinis.
Entre mes mains de cire pâle,
Que la prière réunit,
Tournez ce chapelet d’opale,
Par le pape à Rome bénit :
Je l’égrènerai dans la couche
D’où nul encor ne s’est levé ;
Sa bouche en a dit sur ma bouche
Chaque Pater et chaque Ave.
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Bûchers et tombeaux
Le squelette était invisible,
Au temps heureux de l’Art païen ;
L’homme, sous la forme sensible,
Content du beau, ne cherchait rien.
Pas de cadavre sous la tombe,
Spectre hideux de l’être cher,
Comme d’un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair,
Et, quand la pierre se lézarde,
Parmi les épouvantements,
Montrait à l’oeil qui s’y hasarde
Une armature d’ossements ;
Mais au feu du bûcher ravie
Une pincée entre les doigts,
Résidu léger de la vie,
Qu’enserrait l’urne aux flancs étroits ;
Ce que le papillon de l’âme
Laisse de poussière après lui,
Et ce qui reste de la flamme
Sur le trépied, quand elle a lui !
Entre les fleurs et les acanthes,
Dans le marbre joyeusement,
Amours, aegipans et bacchantes
Dansaient autour du monument ;
Tout au plus un petit génie
Du pied éteignait un flambeau ;
Et l’art versait son harmonie
Sur la tristesse du tombeau.
Les tombes étaient attrayantes:
Comme on fait d’un enfant qui dort,
D’images douces et riantes
La vie enveloppait la mort ;
La mort dissimulait sa face
Aux trous profonds, au nez camard,
Dont la hideur railleuse efface
Les chimères du cauchemar.
Le monstre, sous la chair splendide
Cachait son fantôme inconnu,
Et l’oeil de la vierge candide
Allait au bel éphèbe nu.
Seulement pour pousser à boire,
Au banquet de Trimalcion,
Une larve, joujou d’ivoire,
Faisait son apparition;
Des dieux que l’art toujours révère
Trônaient au ciel marmoréen ;
Mais l’Olympe cède au Calvaire,
Jupiter au Nazaréen ;
Une voix dit : Pan est mort ! – L’ombre
S’étend. – Comme sur un drap noir,
Sur la tristesse immense et sombre
Le blanc squelette se fait voir ;
Il signe les pierres funèbres
De son paraphe de fémurs,
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs,
Des cercueils lève le couvercle
Avec ses bras aux os pointus ;
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus ;
Il pousse à la danse macabre
L’empereur, le pape et le roi,
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d’effroi ;
Il entre chez la courtisane
Et fait des mines au miroir,
Du malade il boit la tisane,
De l’avare ouvre le tiroir ;
Piquant l’attelage qui rue
Avec un os pour aiguillon,
Du laboureur à la charrue
Termine en fosse le sillon ;
Et, parmi la foule priée,
Hôte inattendu, sous le banc,
Vole à la pâle mariée
Sa jarretière de ruban.
A chaque pas grossit la bande;
Le jeune au vieux donne la main ;
L’irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.
Le spectre en tête se déhanche,
Dansant et jouant du rebec,
Et sur fond noir, en couleur blanche,
Holbein l’esquisse d’un trait sec.
Quand le siècle devient frivole
Il suit la mode; en tonnelet
Retrousse son linceul et vole
Comme un Cupidon de ballet
Au tombeau-sofa des marquises
Qui reposent, lasses d’amour,
En des attitudes exquises,
Dans les chapelles Pompadour.
Mais voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le ver rnord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.
Reviens, reviens, bel art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !
Si nous sommes une statue
Sculptée à l’image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.
Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau !
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Apollonie
J’aime ton nom d’Apollonie,
Echo grec du sacré vallon,
Qui, dans sa robuste harmonie,
Te baptise soeur d’Apollon.
Sur la lyre au plectre d’ivoire,
Ce nom splendide et souverain,
Beau comme l’amour et la gloire,
Prend des résonances d’airain.
Classique, il fait plonger les Elfes
Au fond de leur lac allemand,
Et seule la Pythie à Delphes
Pourrait le porter dignement,
Quand relevant sa robe antique
Elle s’assoit au trépied d’or,
Et dans sa pose fatidique
Attend le dieu qui tarde encor.
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