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Le chant du cygne
Cygnes au blanc plumage, au port majestueux,
Est-il vrai, dites-moi, qu’un chant harmonieux,
De vos jours écoulés rompant le long silence,
Lorsque va se briser votre frêle existence,
Comme un cri de bonheur s’élève vers les cieux ?
Quand sous votre aile, un soir, votre long col se ploie
Pour le dernier sommeil… d’où vous vient cette joie ?
De vos jours rien ne rompt l’indolente douceur:
Lorsque tout va finir, cet hymne de bonheur,
Comme à des cœurs brisés, quel penser vous l’envoie ?
Ô cygnes de nos lacs ! votre destin est doux;
De votre sort heureux chacun serait jaloux.
Vous voguez lentement de l’une à l’autre rive,
Vous suivez les détours de l’onde fugitive:
Que ne puis-je en ces flots m’élancer avec vous!
Moi, sous l’ardent soleil, je demeure au rivage…
Pour vous, l’onde s’entr’ouvre et vous livre passage;
Votre col gracieux, dans les eaux se plongeant,
Fait jaillir sur le lac mille perles d’argent
Qui laissent leur rosée à votre blanc plumage;
Et les saules pleureurs, ondoyants, agités,
— Alors que vous passez, par le flot emportés —
D’un rameau caressant, doucement vous effleurent
Sur votre aile qui fuit quelques feuilles demeurent,
Ainsi qu’un souvenir d’amis qu’on a quittés.
Puis le soir, abordant à la rive odorante
Où fleurit à l’écart le muguet ou la menthe,
Sur un lit de gazon vous reposez, bercés
Par la brise des nuits, par les bruits cadencés
Des saules, des roseaux , de l’onde murmurante.
Oh ! pourquoi donc chanter un chant mélodieux
Quand s’arrête le cours de vos jours trop heureux ?
Pleurez plutôt, pleurez vos nuits au doux silence,
Les étoiles, les fleurs, votre fraîche existence;
Pourquoi fêter la mort ?… vous êtes toujours deux !
C’est à nous de chanter quand vient l’heure suprême,
Nous, tristes pèlerins, dont la jeunesse même
Ne sait pas découvrir un verdoyant sentier,
Dont le bonheur s’effeuille ainsi que l’églantier ;
Nous, si tôt oubliés de l’ami qui nous aime !
C’est à nous de garder pour un jour à venir,
Tristes comme un adieu, doux comme un souvenir,
Des trésors d’harmonie inconnus à la terre,
Qui ne s’exhaleront qu’à notre heure dernière.
Pour qui souffre ici-bas, il est doux de mourir!
Ô cygnes ! laissez donc ce cri de délivrance
À nos cœurs oppressés de muette souffrance ;
La vie est un chemin où l’on cache ses pleurs…
Celui qui les comprend est plus loin, est ailleurs.
À nous les chants !… la mort, n’est-ce pas l’espérance?
Sophie d’Arbouville
(1810-1850)
Le chant du cygne
Poésies et nouvelles (1840)
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L’ange de poésie
et la jeune femme
L’ANGE DE POÉSIE.
Éveille-toi, ma sœur, je passe près de toi !
De mon sceptre divin tu vas subir la loi ;
Sur toi, du feu sacré tombent les étincelles,
Je caresse ton front de l’azur de mes ailes.
À tes doigts incertains, j’offre ma lyre d’or,
Que ton âme s’éveille et prenne son essor !…
Le printemps n’a qu’un jour, tout passe ou tout s’altère ;
Hâte-toi de cueillir les roses de la terre,
Et chantant les parfums dont s’enivrent tes sens,
Offre tes vers au ciel comme on offre l’encens !
Chante, ma jeune sœur, chante ta belle aurore,
Et révèle ton nom au monde qui l’ignore.
LA JEUNE FEMME.
Grâce !.. éloigne de moi ton souffle inspirateur !
Ne presse pas ainsi ta lyre sur mon cœur !
Dans mon humble foyer, laisse-moi le silence ;
La femme qui rougit a besoin d’ignorance.
Le laurier du poète exige trop d’effort…
J’aime le voile épais dont s’obscurcit mon sort.
Mes jours doivent glisser sur l’océan du monde,
Sans que leur cours léger laisse un sillon sur l’onde ;
Ma voix ne doit chanter que dans le sein des bois,
Sans que l’écho répète un seul son de ma voix.
L’ANGE DE POÉSIE.
Je t’appelle, ma sœur, la résistance est vaine.
Des fleurs de ma couronne, avec art je t’enchaîne :
Tu te débats en vain sous leurs flexibles nœuds.
D’un souffle dévorant j’agite tes cheveux,
Je caresse ton front de ma brûlante haleine !
Mon cœur bat sur ton cœur, ma main saisit la tienne ;
Je t’ouvre le saint temple où chantent les élus…
Le pacte est consommé, je ne te quitte plus !
Dans les vallons lointains suivant ta rêverie,
Je prêterai ma voix aux fleurs de la prairie ;
Elles murmureront : « Chante, chante la fleur
Qui ne vit qu’un seul jour pour vivre sans douleur. »
Tu m’entendras encor dans la brise incertaine
Qui dirige la barque en sa course lointaine ;
Son souffle redira : « Chante le ciel serein ;
Qu’il garde son azur, le salut du marin ! »
J’animerai l’oiseau caché sous le feuillage,
Et le flot écumant qui se brise au rivage ;
L’encens remplira l’air que tu respireras…
Et soumise à mes lois, ma sœur, tu chanteras !
LA JEUNE FEMME.
J’écouterai ta voix, ta divine harmonie,
Et tes rêves d’amour, de gloire et de génie ;
Mon âme frémira comme à l’aspect des cieux…
Des larmes de bonheur brilleront dans mes yeux.
Mais de ce saint délire, ignoré de la terre,
Laisse-moi dans mon cœur conserver le mystère ;
Sous tes longs voiles blancs, cache mon jeune front ;
C’est à toi seul, ami, que mon âme répond !
Et si, dans mon transport, m’échappe une parole,
Ne la redis qu’au Dieu qui comprend et console.
Le talent se soumet au monde, à ses décrets,
Mais un cœur attristé lui cache ses secrets ;
Qu’aurait-il à donner à la foule légère,
Qui veut qu’avec esprit on souffre pour lui plaire ?
Ma faible lyre a peur de l’éclat et du bruit,
Et comme Philomèle, elle chante la nuit.
Adieu donc ! laisse-moi ma douce rêverie,
Reprends ton vol léger vers ta belle patrie !
L’ange reste près d’elle, il sourit à ses pleurs,
Et resserre les nœuds de ses chaînes de fleurs ;
Arrachant une plume à son aile azurée,
Il la met dans la main qui s’était retirée.
En vain elle résiste, il triomphe… il sourit…
Laissant couler ses pleurs, la jeune femme écrit.
Sophie d’Arbouville
(1810-1850)
Le chant du cygne
Poésies et nouvelles (1840)
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Le Poète
ODE
(Couronnée aux jeux floraux)
Des longs ennuis du jour quand le soir me délivre,
Poète aux chants divins, j’ouvre en rêvant ton livre,
Je me recueille en toi, dans l’ombre et loin du bruit ;
De ton monde idéal, j’ose aborder la rive :
Tes chants que je répète, à mon âme attentive
Semblent plus purs la nuit !
Mais qu’il reste caché, ce trouble de mon âme,
De moi rien ne t’émeut, ni louange, ni blâme.
Quelques hivers à peine ont passé sur mon front…
Et qu’importe à ta muse, en tous lieux adorée,
Qu’au sein de ses foyers une femme ignorée
S’attendrisse à ton nom !
Qui te dira qu’aux sons de ta lyre sublime,
À ses accords divins, ma jeune âme s’anime,
Laissant couler ensemble et ses vers et ses pleurs ?
Quand près de moi ta muse un instant s’est posée,
Je chante…. ainsi le ciel, en versant sa rosée,
Entr’ouvre quelques fleurs.
Poètes ! votre sort est bien digne d’envie.
Le Dieu qui nous créa vous fit une autre vie,
L’horizon ne sert point de limite à vos yeux,
D’un univers plus grand vous sondez le mystère,
Et quand, pauvres mortels, nous vivons sur la terre,
Vous vivez dans les cieux !
Et si, vous éloignant des voûtes éternelles,
Vous descendez vers nous pour reposer vos ailes,
Notre monde à vos yeux se dévoile plus pur ;
L’hiver garde des fleurs, les bois un vert feuillage,
La rose son parfum, les oiseaux leur ramage,
Et le ciel son azur.
Si Dieu, vous révélant les maux de l’existence,
Au milieu de vos chants fait naître la souffrance,
Votre âme, en sa douleur poursuivant son essor,
Comme au temps des beaux jours vibre dans ses alarmes ;
Le monde s’aperçoit, quand vous montrez vos larmes,
Que vous chantez encor !
Le malheur se soumet aux formes du génie,
En passant par votre âme, il devient harmonie.
Votre plainte s’exhale en sons mélodieux.
L’ouragan qui, la nuit, rugit et se déchaîne,
S’il rencontre en son cours la harpe éolienne,
Devient harmonieux.
Moi, sur mes jeunes ans j’ai vu gronder l’orage,
Le printemps fut sans fleurs, et l’été, sans ombrage ;
Aucun ange du ciel n’a regardé mes pleurs.
Que ne puis-je, changeant l’absinthe en ambroisie,
Comme vous, aux accords d’un chant de poésie
Endormir mes douleurs !
À notre âme, ici-bas , il n’est rien qui réponde ;
Poètes inspirés, montrez-nous votre monde !
À ce vaste désert, venez nous arracher.
Pour le divin banquet votre table se dresse…
Oh ! laissez, de la coupe où vous puisez l’ivresse,
Mes lèvres s’approcher !
Oui, penchez jusqu’à moi voire main que j’implore ;
Votre coupe est trop loin, baissez, baissez encore !…
Répandez dans mes vers l’encens inspirateur.
Pour monter jusqu’à vous, mon pied tremble et chancelle…
Poètes ! descendez, et portez sur votre aile
Une timide sœur !
Sophie d’Arbouville
(1810-1850)
Le Poète. Ode
Poésies et nouvelles (1840)
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Amour de jeune fille
Ma mère, quel beau jour ! tout brille, tout rayonne.
Dans les airs, l’oiseau chante et l’insecte bourdonne ;
Les ruisseaux argentés roulent sur les cailloux,
Les fleurs donnent au ciel leur parfum le plus doux.
Le lis s’est entr’ouvert ; la goutte de rosée,
Sur les feuilles des bois par la nuit déposée,
S’enfuyant à l’aspect du soleil et du jour,
Chancelle et tombe enfin comme des pleurs d’amour.
Les fils blancs et légers de la vierge Marie,
Comme un voile d’argent, volent sur la prairie :
Frêle tissu, pour qui mon souffle est l’aquilon,
Et que brise en passant l’aile d’un papillon.
Sous le poids de ses fruits le grenadier se penche,
Dans l’air, un chant d’oiseau nous vient de chaque branche ;
Jusqu’au soir, dans les cieux, le soleil brillera :
Ce jour est un beau jour !… Oh ! bien sûr, il viendra !
Il viendra… mais pourquoi ?… Sait-il donc que je l’aime ?
Sait-il que je l’attends, que chaque jour de même,
— Que ce jour soit celui d’hier ou d’aujourd’hui —
J’espère sa présence et ne songe qu’à lui ?
Oh ! non ! il ne sait rien. Qu’aurait-il pu comprendre !…
Les battements du cœur se laissent-ils entendre ?
Les yeux qu’on tient baissés, ont-ils donc un regard ?
Un sourire, dit-il qu’on doit pleurer plus tard ?
Que sait-on des pensers cachés au fond de l’âme !
La douleur qu’on chérit, le bonneur que l’on blâme ,
Au bal, qui les trahit ?… Des fleurs sont sur mon front,
À tout regard joyeux mon sourire répond ;
Je passe auprès de lui sans détourner la tête,
Sans ralentir mes pas…. et mon cœur seul s’arrête.
Mais qui peut voir le cœur ? qu’il soit amour ou fiel,
C’est un livre fermé, qui ne s’ouvre qu’au ciel !
Une fleur est perdue, au loin, dans la prairie,
Mais son parfum trahit sa présence et sa vie ;
L’herbe cache une source, et le chêne un roseau,
Mais la fraîcheur des bois révèle le ruisseau ;
Le long balancement d’un flexible feuillage
Nous dit bien s’il reçoit ou la brise ou l’orage ;
Le feu qu’ont étouffé des cendres sans couleur,
Se cachant à nos yeux, se sent par la chaleur ;
Pour revoir le soleil quand s’enfuit l’hirondelle,
Le pays qu’elle ignore est deviné par elle :
Tout se laisse trahir par l’odeur ou le son,
Tout se laisse entrevoir par l’ombre ou le rayon,
Et moi seule, ici-bas, dans la foule perdue,
J’ai passé près de lui sans qu’il m’ait entendue…
Mon amour est sans voix, sans parfum, sans couleur,
Et nul pressentiment n’a fait battre son cœur !
Ma mère, c’en est fait ! Le jour devient plus sombre ;
Aucun bruit, aucun pas, du soir ne trouble l’ombre.
Adieux à vous ! — à vous, ingrat sans le savoir !
Vous, coupable des pleurs que vous ne pouvez voir !
Pour la dernière fois, mon Ame déchirée
Rêva votre présence, hélas! tant désirée…
Plus jamais je n’attends. L’amour et l’abandon,
Du cœur que vous brisez les pleurs et le pardon,
Vous ignorerez tout !… Ainsi pour nous, un ange.
Invisible gardien, dans ce monde où tout change.
S’attache à notre vie et vole à nos côtés ;
Sous son voile divin nous sommes abrités,
Et jamais, cependant, on ne voit l’aile blanche
Qui, sur nos fronts baissés, ou s’entrouvre ou se penche.
Dans les salons, au bal, sans cesse, chaque soir,
En dansant près de vous, il me faudra vous voir ;
Et cependant, adieu… comme à mon premier rêve !
Tous deux, à votre insu, dans ce jour qui s’achève,
Nous nous serons quittés ! — Adieu, soyez heureux !…
Ma prière, pour vous, montera vers les Cieux :
Je leur demanderai qu’éloignant les orages,
Ils dirigent vos pas vers de riants rivages,
Que la brise jamais, devenant aquilon,
D’un nuage pour vous ne voile l’horizon ;
Que l’heure à votre gré semble rapide ou lente ;
Lorsque vous écoutez, que toujours l’oiseau chante ;
Lorsque vous regardez, que tout charme vos yeux,
Que le buisson soit vert, le soleil radieux ;
Que celle qui sera de votre cœur aimée,
Pour vous, d’un saint amour soit toujours animée !…
— Si parfois, étonné d’un aussi long bonheur,
Vous demandez à Dieu : « Mais pourquoi donc, Seigneur ? »
Il répondra peut-être : « Un cœur pour toi me prie…
Et sa part de bonheur, il la donne à ta vie ! »
Sophie d’Arbouville
(1810-1850)
Amour de jeune fille
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