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Voltaire
(1694-1778)
À une dame ou soit-disant telle
Tu commences par me louer,
Tu veux finir par me connaître.
Tu me louras bien moins ; mais il faut t’avouer
Ce que je suis, ce que je voudrais être.
J’aurai vu dans trois ans passer quarante hivers ;
Apollon présidait un jour qui m’a vu naître ;
Au sortir du berceau j’ai bégayé des vers ;
Bientôt ce dieu puissant m’ouvrit son sanctuaire ;
Mon cœur, vaincu par lui, se rangea sous sa loi.
D’autres ont fait des vers par le désir d’en faire ;
Je fus poète malgré moi.
Tous les goûts à la fois sont entrés dans mon âme ;
Tout art a mon hommage, et tout plaisir m’enflamme :
La peinture me charme ; on me voit quelquefois,
Au palais de Philippe, ou dans celui des rois,
Sous les efforts de l’art admirer la nature,
Du brillant Cagliari saisir l’esprit divin,
Et dévorer des yeux la touche noble et sûre
De Raphaël et du Poussin.
De ces appartements qu’anime la peinture
Sur les pas du plaisir je vole à l’opéra.
J’applaudis tout ce qui me touche,
La fertilité de Campra,
La gaité de Mouret, les graces de Destouches :
Pélissier par son art, le Maure par sa voix,
Tour à tour ont mes vœux et suspendent mon choix.
Quelquefois, embrassant la science hardie
Que la curiosité
Honora par vanité
Du nom de philosophie,
Je cours après Newton dans l’abyme des cieux ;
Je veux voir si des nuits la courrière inégale,
Par le pouvoir changeant d’une force centrale,
En gravitant vers nous s’approche de nos yeux,
Et pèse d’autant plus qu’elle est près de ces lieux
Dans les limites d’un ovale.
J’en entends raisonner les plus profonds esprits,
Maupertuis et Clairault, calculante cabale ;
Je les vois qui des cieux franchissent l’intervalle,
Et je vois trop souvent que j’ai très peu compris.
De ces obscurités je passe à la morale ;
Je lis au cœur de l’homme, et souvent j’en rougis ;
J’examine avec soin les informes écrits,
Les monuments épars, et le style énergique
De ce fameux Pascal, ce dévot satirique ;
Je vois ce rare esprit trop prompt à s’enflammer ;
Je combats ses rigueurs extrêmes :
Il enseigne aux humains à se haïr eux-mêmes ;
Je voudrais, malgré lui, leur apprendre à s’aimer.
Ainsi mes jours égaux, que les Muses remplissent,
Sans soins, sans passions, sans préjugés fâcheux,
Commencent avec joie, et vivement finissent
Par des soupers délicieux.
L’amour dans mes plaisirs ne mêle plus ses peines ;
La tardive raison vient de briser mes chaînes :
J’ai quitté prudemment ce dieu qui m’a quitté ;
J’ai passé l’heureux temps fait pour la volupté.
Est-il donc vrai, grands Dieux, il ne faut plus que j’aime ?
La foule des beaux arts, dont je veux tour à tour
Remplir le vide de moi-même,
N’est pas encore assez pour remplacer l’amour.
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I disapprove of what you say,
but I will defend to the death
your right to say it.
(Voltaire)
Voltaire, (Attributed); originated in “The Friends of Voltaire”, 1906, by S. G. Tallentyre (Evelyn Beatrice Hall). Voltaire: French author, (1694 – 1778).
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Voltaire
(1694-1778)
À Mademoiselle Le Couvreur
L’heureux talent dont vous charmez la France
Avait en vous brillé dès votre enfance ;
Il fut dès lors dangereux de vous voir,
Et vous plaisiez même sans le savoir.
Sur le théâtre heureusement conduite,
Parmi les vœux de cent cœurs empressés,
Vous récitiez, par la nature instruite :
C’était beaucoup, ce n’était point assez ;
Il vous fallut encore un plus grand maître.
Permettez-moi de faire ici connaître
Quel est ce Dieu de qui l’air enchanteur
Vous a donné votre gloire suprême :
Le tendre Amour me l’a conté lui-même ;
On me dira que l’Amour est menteur :
Hélas! je sais qu’il faut qu’on s’en défie ;
Qui mieux que moi connaît sa perfidie ?
Qui souffre plus de sa déloyauté ?
Je ne croirai cet enfant de ma vie ;
Mais cette fois il a dit vérité.
Ce même Amour, Vénus et Melpomène,
Loin de Paris faisaient voyage un jour ;
Ces Dieux charmants vinrent dans ce séjour
Où vos appas éclataient sur la scène ;
Chacun des trois avec étonnement
Vit cette grâce et simple et naturelle,
Qui faisait lors votre unique ornement :
Ah ! dirent-ils, cette jeune mortelle
Mérite bien que sans retardement
Nous répandions tous nos trésors sur elle.
Ce qu’un Dieu veut se fait dans le moment.
Tout aussitôt la tragique déesse
Vous inspira le goût, le sentiment,
Le pathétique, et la délicatesse :
Moi, dit Vénus, je lui fais un présent
Plus précieux, et c’est le don de plaire ;
Elle accroîtra l’empire de Cythère,
A son aspect tout cœur sera troublé,
Tous les esprits viendront lui rendre hommage ;
Moi, dit l’Amour, je ferai davantage,
Je veux qu’elle aime. A peine eut-il parlé
Que dans l’instant vous devîntes parfaite ;
Sans aucuns soins, sans étude, sans fard,
Des passions vous fûtes l’interprète :
Ô de l’Amour adorable sujette,
N’oubliez point le secret de votre art.
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Voltaire
(1694-1778)
À Madame de Fontaine-Martel
Ô très singulière Martel,
J’ai pour vous estime profonde ;
C’est dans votre petit hôtel,
C’est sur vos soupers que je fonde
Mon plaisir, le seul bien réel
Qu’un honnête homme ait en ce monde.
Il est vrai qu’un peu je vous gronde ;
Mais, malgré cette liberté,
Mon cœur vous trouve, en vérité,
Femme à peu de femmes seconde ;
Car sous vos cornettes de nuit,
Sans préjugés et sans faiblesse,
Vous logez esprit qui séduit,
Et qui tient fort à la sagesse.
Or votre sagesse n’est pas
Cette pointilleuse harpie
Qui raisonne sur tous les cas,
Et qui, triste sœur de l’Envie,
Ouvrant un gosier édenté,
Contre la tendre volupté
Toujours prêche, argumente et crie
Mais celle qui si doucement,
Sans efforts et sans industrie,
Se bornant toute au sentiment,
Sait jusqu’au dernier moment
Répandre un charme sur la vie.
Voyez-vous pas de tous côtés
De très décrépites beautés,
Pleurant de n’être plus aimables,
Dans leur besoin de passion
Ne pouvant rester raisonnables,
S’affolier de dévotion,
Et rechercher l’ambition
D’être bégueules respectables ?
Bien loin de cette triste erreur,
Vous avez, au lieu de vigiles,
Des soupers longs, gais et tranquilles ;
Des vers aimables et faciles,
Au lieu des fatras inutiles
De Quesnel et de le Tourneur ;
Voltaire, au lieu d’un directeur ;
Et, pour mieux chasser toute angoisse,
Au curé préférant Campra,
Vous avez loge à l’opéra
Au lieu de banc dans la paroisse :
Et ce qui rend mon sort plus doux,
C’est que ma maîtresse, chez vous,
La liberté, se voit logée ;
Cette liberté mitigée,
À l’œil ouvert, au front serein,
À la démarche dégagée,
N’étant ni prude, ni catin,
Décente, et jamais arrangée ;
Souriant d’un souris badin
À ces paroles chatouilleuses
Qui font baisser un œil malin
À mesdames les précieuses.
C’est là qu’on trouve la gaîté,
Cette sœur de la liberté,
Jamais aigre dans la satire,
Toujours vive dans les bons mots,
Se moquant quelquefois des sots,
Et très souvent, mais à propos,
Permettant au sage de rire.
Que le ciel bénisse le cours
D’un sort aussi doux que le vôtre !
Martel, l’automne de vos jours
Vaut mieux que le printemps d’une autre.
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Voltaire
(1694-1778)
A Mademoiselle de Guise
Vous possédez fort inutilement
Esprit, beauté, grâce, vertu, franchise ;
Qu’y manque-t-il ? quelqu’un qui vous le dise
Et quelque ami dont on en dise autant.
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Voltaire
(1694-1778)
A Mme Lullin
Hé quoi ! vous êtes étonnée
Qu’au bout de quatre-vingts hivers,
Ma Muse faible et surannée
Puisse encor fredonner des vers ?
Quelquefois un peu de verdure
Rit sous les glaçons de nos champs ;
Elle console la nature,
Mais elle sèche en peu de temps.
Un oiseau peut se faire entendre
Après la saison des beaux jours ;
Mais sa voix n’a plus rien de tendre,
Il ne chante plus ses amours.
Ainsi je touche encor ma lyre
Qui n’obéit plus à mes doigts ;
Ainsi j’essaie encor ma voix
Au moment même qu’elle expire.
“Je veux dans mes derniers adieux,
Disait Tibulle à son amante,
Attacher mes yeux sur tes yeux,
Te presser de ma main mourante.”
Mais quand on sent qu’on va passer,
Quand l’âme fuit avec la vie,
A-t-on des yeux pour voir Délie,
Et des mains pour la caresser ?
Dans ce moment chacun oublie
Tout ce qu’il a fait en santé.
Quel mortel s’est jamais flatté
D’un rendez-vous à l’agonie ?
Délie elle-même, à son tour,
S’en va dans la nuit éternelle,
En oubliant qu’elle fut belle,
Et qu’elle a vécu pour l’amour.
Nous naissons, nous vivons, bergère,
Nous mourons sans savoir comment ;
Chacun est parti du néant :
Où va-t-il ?… Dieu le sait, ma chère.
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Voltaire
(1694-1778)
À Uranie
Je vous adore, ô ma chère Uranie !
Pourquoi si tard m’avez-vous enflammé ?
Qu’ai-je donc fait des beaux jours de ma vie ?
Ils sont perdus ; je n’avais point aimé.
J’avais cherché dans l’erreur du bel âge
Ce dieu d’amour, ce dieu de mes désirs ;
Je n’en trouvai qu’une trompeuse image
Je n’embrassai que l’ombre des plaisirs.
Non, les baisers des plus tendres maîtresses ;
Non, ces moments comptés par cent caresses,
Moments si doux et si voluptueux,
Ne valent pas un regard de tes yeux.
Je n’ai vécu que du jour où ton âme
M’a pénétré de sa divine flamme ;
Que de ce jour où, livré tout à toi,
Le monde entier a disparu pour moi.
Ah ! quel bonheur de te voir, de t’entendre !
Que ton esprit a de force et d’appas !
Dieux ! que ton cœur est adorable et tendre !
Et quels plaisirs je goûte dans tes bras !
Trop fortuné, j’aime ce que j’admire.
Du haut du ciel, du haut de ton empire,
Vers ton amant tu descends chaque jour,
Pour l’enivrer de bonheur et d’amour.
Belle Uranie, autrefois la Sagesse
En son chemin rencontra le Plaisir ;
Elle lui plut ; il en osa jouir ;
De leurs amours naquit une déesse,
Qui de sa mère a le discernement,
Et de son père a le tendre enjouement.
Cette déesse, ô ciel ! qui peut-elle être
Vous, Uranie, idole de mon cœur,
Vous que les dieux pour la gloire ont fait naître,
Vous qui vivez pour faire mon bonheur.
1734
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Voltaire
(1694-1778)
À une jeune veuve
Jeune et charmant objet à qui pour son partage
Le ciel a prodigué les trésors les plus doux,
Les grâces, la beauté, l’esprit, et le veuvage,
Jouissez du rare avantage
D’être sans préjugés, ainsi que sans époux !
Libre de ce double esclavage,
Joignez à tous ces dons celui d’en faire usage ;
Faites de votre lit le trône de l’Amour ;
Qu’il ramène les Ris, bannis de votre cour
Par la puissance maritale.
Ah ! ce n’est pas au lit qu’un mari se signale :
Il dort toute la nuit et gronde tout le jour ;
Ou s’il arrive par merveille
Que chez lui la nature éveille le désir,
Attend-il qu’à son tour chez sa femme il s’éveille ?
Non : sans aucun prélude il brusque le plaisir ;
Il ne connaît point l’art d’animer ce qu’on aime,
D’amener par degrés la volupté suprême :
Le traître jouit seul… si pourtant c’est jouir.
Loin de vous tous liens, fût-ce avec Plutus même !
L’Amour se chargera du soin de vous pourvoir.
Vous n’avez jusqu’ici connu que le devoir,
Le plaisir vous reste à connaître.
Quel fortuné mortel y sera votre maître !
Ah ! lorsque, d’amour enivré,
Dans le sein du plaisir il vous fera renaître,
Lui-même trouvera qu’il l’avait ignoré.
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Voltaire
(1694-1778)
A Mme du Châtelet
” Si vous voulez que j’aime encore,
Rendez-moi l’âge des amours ;
Au crépuscule de mes jours
Rejoignez, s’il se peut, l’aurore.
Des beaux lieux où le dieu du vin
Avec l’Amour tient son empire,
Le Temps, qui me prend par la main,
M’avertit que je me retire.
De son inflexible rigueur
Tirons au moins quelque avantage.
Qui n’a pas l’esprit de son âge,
De son âge a tout le malheur.
Laissons à la belle jeunesse
Ses folâtres emportements.
Nous ne vivons que deux moments :
Qu’il en soit un pour la sagesse.
Quoi ! pour toujours vous me fuyez,
Tendresse, illusion, folie,
Dons du ciel, qui me consoliez
Des amertumes de la vie !
On meurt deux fois, je le vois bien :
Cesser d’aimer et d’être aimable,
C’est une mort insupportable ;
Cesser de vivre, ce n’est rien. “
Ainsi je déplorais la perte
Des erreurs de mes premiers ans ;
Et mon âme, aux désirs ouverte,
Regrettait ses égarements.
Du ciel alors daignant descendre,
L’Amitié vint à mon secours ;
Elle était peut-être aussi tendre,
Mais moins vive que les Amours.
Touché de sa beauté nouvelle,
Et de sa lumière éclairé,
Je la suivis; mais je pleurai
De ne pouvoir plus suivre qu’elle.
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Voltaire
(François Marie Arouet, 1694-1778)
Les Vous et les Tu
Philis, qu’est devenu ce temps
Où, dans un fiacre promenée,
Sans laquais, sans ajustements,
De tes grâces seules ornée,
Contente d’un mauvais soupé
Que tu changeais en ambroisie,
Tu te livrais, dans ta folie,
A l’amant heureux et trompé
Qui t’avait consacré sa vie ?
Le ciel ne te donnait alors,
Pour tout rang et pour tous trésors,
Que les agréments de ton âge,
Un coeur tendre, un esprit volage,
Un sein d’albâtre, et de beaux yeux.
Avec tant d’attraits précieux,
Hélas ! qui n’eût été friponne ?
Tu le fus, objet gracieux !
Et (que l’Amour me le pardonne !)
Tu sais que je t’en aimais mieux.
Ah ! madame ! que votre vie
D’honneurs aujourd’hui si remplie,
Diffère de ces doux instants !
Ce large suisse à cheveux blancs,
Qui ment sans cesse à votre porte,
Philis, est l’image du Temps ;
On dirait qu’il chasse l’escorte
Des tendres Amours et des Ris ;
Sous vos magnifiques lambris
Ces enfants tremblent de paraître.
Hélas ! je les ai vus jadis
Entrer chez toi par la fenêtre,
Et se jouer dans ton taudis.
Non, madame, tous ces tapis
Qu’a tissus la Savonnerie,
Ceux que les Persans ont ourdis,
Et toute votre orfèvrerie,
Et ces plats si chers que Germain
A gravés de sa main divine,
Et ces cabinets où Martin
A surpassé l’art de la Chine ;
Vos vases japonais et blancs,
Toutes ces fragiles merveilles ;
Ces deux lustres de diamants
Qui pendent à vos deux oreilles ;
Ces riches carcans, ces colliers,
Et cette pompe enchanteresse,
Ne valent pas un des baisers
Que tu donnais dans ta jeunesse.
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