Mireille Havet: Connaissance
Mireille Havet
(1898-1932)
Connaissance
À la comtesse Jean de Limur
La vie souple, comme une cravache
en plein visage m’a flagellée.
Je m’en vais douce, inoffensive
dans le crépuscule printanier
qui emplit les rues de jeux de billes,
de marelles étoilées.
La lampe
allumée sur le potage,
les faïences,
tel qu’on aurait pu être,
Mais la vie trop souple
de sa fine lanière cingle
les enfants tristes,
et l’âme se plie féline,
domptée
vers la mort qui est sa récompense.
Les enfants du cordonnier
jouent dans la cour
avec des cris qui montent
rappelant des hangars, des faubourgs ;
un arbre bouge tout pointé
de bourgeons verts
et mes larmes sourdes et tenaces
sont prises en moi,
source merveilleuse qui chemine
et s’en va
sous la terre
s’épuiser au long des larmes stériles
de l’amour,
sous la lune grise
qui annonce la belle saison,
les mains enlacées
les lents et balancés
retours à la maison
— la nuit —
au matin l’aubépinier entier s’était fleuri,
et contre moi
comme une bête,
comme un ange terrassé
j’étrangle ma joie d’hier
neuve, insolente
et dont j’aimerais mourir
Ô solitude
magnifique et suprême
que ton dur visage
se mesure bien à mon regard,
face à face comme toujours,
mon âme nue se déploie
au silence des larmes.
Toute ma jeunesse me tire cependant
m’entraîne,
dans l’incroyable
foule humaine
et je reprends la chaîne qui nous lie
à la terre.
Il n’y a rien d’autre,
le pain quotidien
le travail
la jouissance étonnante
du chagrin
qui ressemble à la mer.
Nous mourons d’espoirs,
de nuances douces couleur de lilas
et plus fragiles encore au contact
des doigts
que le bleu effronté des papillons des îles.
Le coup direct ne tue pas si bien
que l’aiguillon secret
qui taquine en silence,
hameçon subtil
glissé dans l’eau
entre les tiges de lotus blancs.
Promenades en bateau,
première étoile
naissante
et qui éclate comme une fleur
à l’horizon des anges,
Vénus au nom de malheur.
J’ai tout vu
le balancement des rames
au fil du courant,
la main douce dans la petite vague
le charme des femmes
leur tendresse navrante
caprice sentimental d’un instant
ont perdu mon âme
qui cherchait leur douceur.
Hamlet, Ophélie, les deux pigeons.
Je poursuis le dérisoire visage de l’amour
au seuil condamnable
au seuil écolier
de mes vingt ans.
Très menteuse et très chère
je vous dédie et je vous signe
ce poème,
vous y retrouverez
tout ce que vous détestez en moi
et même le peu que vous aimiez.
Le jeu est fini
la comédie terminée,
je m’en retourne
front lourd et jambes rompues
vers mon enfance
à la poursuite de la lumière
que vous m’avez empoisonnée.
Ô menteuse
la plus cruelle,
souriez à l’éternelle méchanceté humaine
qui me fit en neuf jours
votre petit arlequin bariolé
et ce soir le pierrot balafré
qui vous quitte
visage blanc camouflé de gifles
dans l’incohérence crépusculaire
et douce
du printemps.
La Revue européenne n°3 (1er mai 1923)
Mireille Havet poetry
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