Mireille Havet: Arlequin
Mireille Havet
(1898-1932)
Arlequin
Mon petit Arlequin
si triste sur le divan
dans la journée molle et que creuse l’orage
aux labours du printemps
tu as chu comme une feuille balancée
pétale détachée qui s’envole
En culotte de soie de toutes couleurs
tes jambes fines en lignes coupées
par les ramages
voyant paysage d’une féerie
de mauvais aloi
où les pommes ont des yeux
et les oiseaux trois pattes
Tu étales dans l’argenterie d’un crépuscule
tout balancé de pluie et d’arrosage
ta souplesse infernale
de sauts périlleux et de scandales
Arlequin mon petit camarade
aux gestes de pantin
qui donc aujourd’hui a tenu
la ficelle de ta belle âme
qui donc a tiré l’élastique de tes quatre membres
que je te vois si pâle et si défait
dans ce costume
qui appelle la bâtonnade
d’un pierrot ridicule
Les jardins ont versé leurs odeurs
sur la route
toute une procession de marronniers
en fleurs
de lilas doubles et de tulipes
quelqu’hirondelle basse écorcha ses ailes
au rosier
et l’orage s’est ouvert
ronronnant troupeau d’abeilles
au ciel électrique de lumière
Alors
abrités par ta maison claire
et mariés d’avance sous le joug diluvien
de l’averse
nous avons cherché
toi familier des planches
et des ramages et des fards
et moi voyageur prodigue au mouchoir
à carreaux faisant mon tour de France
la double douceur de nos chairs nerveuses
illuminées par la saison nouvelle
ses aubes claires et ses rossignols
j’entendais ruisseler les gouttières
et s’abreuver la terre molle
où germent les graines potagères
j’entendais rabattus par le vent
les volets claquer au balcon
et ces intermittences de tonnerre
Longtemps je garderai aux doigts
le souvenir de ta culotte soyeuse
je te cherchais à travers
l’arc-en-ciel
et l’odeur des géraniums
mon petit frère perdu dans les mascarades
et les confettis
mon petit dévoyé de l’école
que faisons-nous
Et pourquoi pas plutôt l’atlas ouvert
sur nos genoux
ou bien les rois de France
Apprendre enfin pour devenir des hommes
Ah ! tu es pris sous moi pris
nous nous entrouvrons sur le néant
du monde
Voilà que chancelle le masque de tes yeux
ta bouche trop rouge
où j’ai mordu l’admirable forme
sa lampe à la main
Arlequin est à la fenêtre
son profil ausculte la nuit
la douteuse lumière pose
des ronds ensoleillés
Sur ses hanches satinées
de danseur immobile
et je me tourne inquiet
pour mieux voir
Car dans mon rêve
j’avais ôté son masque
son petit masque de velours
Si bien ajusté
Cependant
à ses joues chaudes
et son visage entier
m’était apparu
Arlequin
regarde-moi
du mensonge
dans un arc si pur
Vais-je découvrir enfin le haut de ton visage
car tes pupilles claires
dans l’échancrure noire
Arlequin
vais-je savoir
quel dieu
tu es
Mais
dans la nuit venue
où se dresse sur un nuage tourmenté
la petite serpe de la lune enchantée
qui servit à trancher
tant de pavots magiques
Dans la nuit où se recomposent
les jardins échevelés par la pluie
et leurs odeurs mêlées
jeu de patience que brouilla l’orage
je m’éveille
Aladin
Surpris par un rêve incroyable
Est-il vrai que c’était mon visage
une telle ressemblance est-elle possible
mon visage sous ton masque
que j’embrassai toute une nuit
Bientôt, dit-il, je te quitterai pour toujours
le jeu a duré bien longtemps pour mon arlequinade
je ne sais vraiment ce qu’il m’a pris
entend les coqs qui ouvrent les routes
de l’aurore
II faut que j’aille réjouir les villes
leur petit guignol de planches et d’or
avant que le matin ne ternisse de rosée
mon brillant costume
Il faut que j’aille danser
rejoindre Colombine
et tous les autres
que serait la comédie sans Arlequin
Vraiment que serait la comédie
tu n’y songes pas
Il parlait à demi tourné vers la fenêtre
et l’ombre me cachait sa figure
c’est alors que m’étant levé
pour le rejoindre
d’une jambe souple
il sauta
dans le vide
Arlequin
le masque détaché par la chute
vient s’abattre oiseau triste
dans mes mains
et je ne vis plus
sur les routes de l’aurore
S’en allant à reculons
avec des gestes de parade foraine
qu’un petit pantin mécanique et bouffon
dont le visage levé
IDENTIQUE AU MIEN
…..souriait obstinément vers le jour
Revue Les Écrits Nouveaux Tome IX – nr 6 (juin 1922)
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