Mireille Havet: Le voyage
Mireille Havet
(1898-1932)
Le voyage
Hier, j’ai rencontré le voyage.
Il m’a dit bonjour. Il m’a dit : viens-tu ?
Son beau train flambant soufflait, sur les rails comme le cheval qui piaffe entre les rênes sûres.
Il m’a dit : regarde, le ciel lavé d’après les grêles d’avril est ouvert à la sortie du hall et voici déjà la campagne offrant les deux paumes de ses plaines, les longues sentes effilées de ses doigts accrochés aux forêts mitoyennes et ses ongles purs où sourit une étoile, qui sont les lacs, les fontaines, les abreuvoirs au seuil des fermes et la source jaillissante qui s’égrène entre la haie de crocus.
Va ! Prends la portière, ne consulte point d’indicateur, Toutes les heures sont belles et toutes les lignes sont bonnes… Si tu es un conquérant, il n’y a que le voyage !
Et je suis restée immobile et timide.
Le beau train dans la gare a sifflé… Son dernier wagon sur la voie qui tourne s’en est allé, tremblant comme un grelot noir.
Au retour, la ville me parut plus meurtrière encore. Je toussais le long de ses quais interminables. Enfant Prodigue qui avait refusé l’espace comme on renvoie un chien errant.
J’ai repris la routine des jours, l’oisiveté qui dévore plus que l’amour… Le grand licol de la ville baille autour de mon cou et cependant je n’ai pas su m’enfuir, craignant peut-être la solitude et la rencontre de mon âme que je veux croire perdue ?
Mais, au tournant de la rue, entre deux voitures qui se heurtaient, je l’ai rencontrée, mon âme. Elle sautait devant moi comme une petite fille folle et ses deux mains tremblantes se secouaient dans l’air. Elle avait cependant un tablier rosé… On aurait dit une meurtrière de huit ans. Comme j’allais l’atteindre, un camion m’en à séparée,… dès qu’il fut passé, je bondis, mais hélas je ne trouvai plus, planté dans l’herbe courte des Champs-Elysées, qu’un petit coquelicot maigre et ardent qui battait de la crête comme un petit coq malade.
Alors, je suis passée, prononçant des mots de tristesse vagues et mouvants comme des algues et qui se perdirent dans la rumeur de la ville, s’unissant au cri perpétuel de Paris qui nous enfarine, afin d’en poudrer son ciel clair, nos rêves les plus beaux, nos chairs les plus fines et nos désirs avortés d’univers.
Paris 1918
Revue Les Écrits Nouveaux Tome III – N°20 (Aout 1919)
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