Mireille Havet: Histoire du petit cheval noir
Mireille Havet
(1898-1932)
Histoire du petit cheval noir
Le petit cheval, noir comme du jais, trotte sur la route de campagne. Ses deux oreilles bien levées comme des cornets à surprise et sa queue empanachée comme un plumeau qu’agite la brise.
Il est content, le petit cheval, parce que l’air est bleu sur toute la campagne. La carriole qui sonne derrière sa croupe luisante est légère et le paysan Mathieu gai et propre dans sa blouse bleue, n’emporte jamais de fouet.
« Ah les beaux cailloux ! comme ils roulent bien sous mes quatre sabots, pense le petit cheval, et que mon estomac est agréablement rempli d’avoine. Allons, vite, vite à la ferme qui est située dans la vallée. Là, je retrouverai un petit cheval blanc que j’affectionne énormément. »
Mais voilà, que sous le lourd soleil de midi, qui est monté au fond du ciel, le gai paysan Mathieu s’est endormi. Sa bonne grosse tête est secouée de droite à gauche, de gauche à droite, par les cahots de la voiture et, devant ses yeux clos, passent des visions champêtres… La route, avant d’arriver à la ferme est raide, si raide, qu’on n’y pourrait jouer à courir sans tomber.
Mais, le petit cheval ne sait pas cela, parce qu’une main sûre, jusqu’à ce matin-là, avait toujours tenu ses guides. Et de toute la force de ses quatre jambes solides il se lance dans le sentier, avec par derrière lui, la carriole sonnante. Ah ! qu’est-il arrivé ?
Mathieu fut réveillé par une grande secousse, qui le projeta en l’air, comme une balle, et par un hennissement pitoyable. Le petit cheval noir, plié sur ses genoux de devant, était recouvert, à moitié, par la carriole qui pesait sur son dos… et il hennissait… il hennissait, parce qu’il avait mal à ses genoux écorchés.
« Ah ! pensait le petit cheval, comment faire maintenant ? j’ai si mal ! et je n’ai pas la force de me relever. J’étais si heureux de courir, avec du soleil de tous les côtés et l’air piquant dans mes naseaux ouverts. Maintenant je vais boiter comme un vieux cheval infirme. Quelle tristesse ! » Et il pleurait.
Ce n’est qu’une heure après, que Mathieu avec, d’autres garçons, purent dégager le petit cheval noir et l’aider à se relever.
Mais dans quel état ! Toute la peau de ses genoux enlevée. Ses pauvres genoux ! On le ramena à son écurie : là-haut, sur le coteau, pendant que le soleil se couchait, comme cela, avec une multitude de rayons. Le ciel ressemblait à un champ de blé.
Et le petit cheval sentait son cœur lourd comme une grosse pierre et il se disait : « Vais-je mourir ? » Mais il ne mourut pas. Ce n’était que des écorchures. On le soigna très bien. On le fit reposer et on lui donna abondamment à manger.
Cependant depuis, il n’a jamais voulu, mais jamais ! reprendre le chemin en pente qui conduit dans la vallée.
La Maison dans l’œil du chat. Paris, éditions Georges Crès & Cie, 1917
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