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Mireille Havet
(1898-1932)
Arlequin
Mon petit Arlequin
si triste sur le divan
dans la journée molle et que creuse l’orage
aux labours du printemps
tu as chu comme une feuille balancée
pétale détachée qui s’envole
En culotte de soie de toutes couleurs
tes jambes fines en lignes coupées
par les ramages
voyant paysage d’une féerie
de mauvais aloi
où les pommes ont des yeux
et les oiseaux trois pattes
Tu étales dans l’argenterie d’un crépuscule
tout balancé de pluie et d’arrosage
ta souplesse infernale
de sauts périlleux et de scandales
Arlequin mon petit camarade
aux gestes de pantin
qui donc aujourd’hui a tenu
la ficelle de ta belle âme
qui donc a tiré l’élastique de tes quatre membres
que je te vois si pâle et si défait
dans ce costume
qui appelle la bâtonnade
d’un pierrot ridicule
Les jardins ont versé leurs odeurs
sur la route
toute une procession de marronniers
en fleurs
de lilas doubles et de tulipes
quelqu’hirondelle basse écorcha ses ailes
au rosier
et l’orage s’est ouvert
ronronnant troupeau d’abeilles
au ciel électrique de lumière
Alors
abrités par ta maison claire
et mariés d’avance sous le joug diluvien
de l’averse
nous avons cherché
toi familier des planches
et des ramages et des fards
et moi voyageur prodigue au mouchoir
à carreaux faisant mon tour de France
la double douceur de nos chairs nerveuses
illuminées par la saison nouvelle
ses aubes claires et ses rossignols
j’entendais ruisseler les gouttières
et s’abreuver la terre molle
où germent les graines potagères
j’entendais rabattus par le vent
les volets claquer au balcon
et ces intermittences de tonnerre
Longtemps je garderai aux doigts
le souvenir de ta culotte soyeuse
je te cherchais à travers
l’arc-en-ciel
et l’odeur des géraniums
mon petit frère perdu dans les mascarades
et les confettis
mon petit dévoyé de l’école
que faisons-nous
Et pourquoi pas plutôt l’atlas ouvert
sur nos genoux
ou bien les rois de France
Apprendre enfin pour devenir des hommes
Ah ! tu es pris sous moi pris
nous nous entrouvrons sur le néant
du monde
Voilà que chancelle le masque de tes yeux
ta bouche trop rouge
où j’ai mordu l’admirable forme
sa lampe à la main
Arlequin est à la fenêtre
son profil ausculte la nuit
la douteuse lumière pose
des ronds ensoleillés
Sur ses hanches satinées
de danseur immobile
et je me tourne inquiet
pour mieux voir
Car dans mon rêve
j’avais ôté son masque
son petit masque de velours
Si bien ajusté
Cependant
à ses joues chaudes
et son visage entier
m’était apparu
Arlequin
regarde-moi
du mensonge
dans un arc si pur
Vais-je découvrir enfin le haut de ton visage
car tes pupilles claires
dans l’échancrure noire
Arlequin
vais-je savoir
quel dieu
tu es
Mais
dans la nuit venue
où se dresse sur un nuage tourmenté
la petite serpe de la lune enchantée
qui servit à trancher
tant de pavots magiques
Dans la nuit où se recomposent
les jardins échevelés par la pluie
et leurs odeurs mêlées
jeu de patience que brouilla l’orage
je m’éveille
Aladin
Surpris par un rêve incroyable
Est-il vrai que c’était mon visage
une telle ressemblance est-elle possible
mon visage sous ton masque
que j’embrassai toute une nuit
Bientôt, dit-il, je te quitterai pour toujours
le jeu a duré bien longtemps pour mon arlequinade
je ne sais vraiment ce qu’il m’a pris
entend les coqs qui ouvrent les routes
de l’aurore
II faut que j’aille réjouir les villes
leur petit guignol de planches et d’or
avant que le matin ne ternisse de rosée
mon brillant costume
Il faut que j’aille danser
rejoindre Colombine
et tous les autres
que serait la comédie sans Arlequin
Vraiment que serait la comédie
tu n’y songes pas
Il parlait à demi tourné vers la fenêtre
et l’ombre me cachait sa figure
c’est alors que m’étant levé
pour le rejoindre
d’une jambe souple
il sauta
dans le vide
Arlequin
le masque détaché par la chute
vient s’abattre oiseau triste
dans mes mains
et je ne vis plus
sur les routes de l’aurore
S’en allant à reculons
avec des gestes de parade foraine
qu’un petit pantin mécanique et bouffon
dont le visage levé
IDENTIQUE AU MIEN
…..souriait obstinément vers le jour
Revue Les Écrits Nouveaux Tome IX – nr 6 (juin 1922)
Mireille Havet poetry
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Friedrich Haug
(1761-1829)
An die Fliege
Kleine rege Fliege!
Lose Schwärmerin!
Dürstest du, so schmiege
Dich an’s Kelchglas hin!
Komm, du bist geladen!
O mein Traubenmost
Soll dein Kehlchen baden
Süß, wie Götterkost.
SchlürfeLust und Feuer!
Taumle gar hinab!
Ich bin dein Befreier
Aus dem Nectargrab.
Halt! Nicht umgesunken!
Zeche fort in Ruh!
Endlich flattre trunken
Deiner Buhlschaft zu!
Sieh! Konfect und Flaschen
Mangeln nicht bei mir.
Wein und Zucker haschen
Sollst du für und für!
Ewig Wonneschweben
Zwischen Überfluß
Sey dein Sommerleben,
Ewiger Genuß.
Denn mit Sturmgeheule
Bricht derWinter ein.
Ach, in kurzer Weile
Wirst du nicht mehr seyn;
Nimmer fröhlich wärmen
Dich im Sonnenstrahl,
Nimmer naschend schwärmen
Um mein Königsmahl;
Lüstern buhlen nimmer,
Durch dein Brüderheer
Deiner Flügel Schimmer
Schütteln nimmermehr!
Lieber Himmel walte!
Ich beweine dich,
Und ich Thor verhalte
Thränen über mich?
Nein! die Thränen glänzen!
Lust zerrinnt im Nu.
O! Nach dreißig Lenzen
Bin ich todt, wie du!
Photos: Anton K. 2009
Gedicht: Friedrich Haug
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Arno Holz
(1863–1929)
Ballade
Kennt ihr das Lied, das alte Lied
Vom heilgen Hain zu Singapur?
Dort sitzt ein alter Eremit
Und kaut an seiner Nabelschnur.
Er kaut tagaus, er kaut tagein
Und nährt sich kärglich nur und knapp,
Denn ach, er ist ein grosses Schwein
Und nie fault ihm sein Luder ab!
Rings um ihn wie das liebe Vieh
Wälzt sich zerknirscht ganz Singapur
Und »Gott erhalte«, singen sie,
»Noch lange seine Nabelschnur!«
Denn also geht im Volk die Mähr
Und also lehrt auch dies Gedicht:
Wenn jene Nabelschnur nicht wär,
Dann wär auch manches Andre nicht.
Dann hätte beispielsweise Lingg
Nie völkerwandernd sich verrannt
Und Wagners Nibelungenring
Wär stellweis nicht so hirnverbrannt.
Uns hätte nie Professor Dahn
Urdeutsch dozirt von A bis Z
Und kein ägyptischer Roman
Verzierte unser Bücherbrett.
Wolffs Heijerleispoeterei,
Kein Baumbach wär ihr nachgetatscht,
Und Mirzas Reimklangklingelei
Summa cum laude ausgeklatscht.
Dann schlüge endlich unsrer Zeit
Das Herz ans Herz der Poesie,
Das Rütli schwüre seinen Eid
Und unser Tell wär das Genie.
So aber so – frei, fromm und frisch
Kaut weiter jener Nimmersatt;
Sein eigner Schmerbauch ist sein Tisch,
Sein –wisch ein Bananenblatt.
Und um ihn wie das liebe Vieh
Wälzt sich zerknirscht ganz Singapur
Und »Gott erhalte«, singen sie,
»Noch lange seine Nabelschnur!«
Arno Holz poetry
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Coquetterie posthume
Quand je mourrai, que l’on me mette,
Avant de clouer mon cercueil,
Un peu de rouge à la pommette,
Un peu de noir au bord de l’oeil.
Car je veux dans ma bière close,
Comme le soir de son aveu,
Rester éternellement rose
Avec du kh’ol sous mon oeil bleu.
Pas de suaire en toile fine,
Mais drapez-moi dans les plis blancs
De ma robe de mousseline,
De ma robe à treize volants.
C’est ma parure préférée ;
Je la portais quand je lui plus.
Son premier regard l’a sacrée,
Et depuis je ne la mis plus.
Posez-moi, sans jaune immortelle,
Sans coussin de larmes brodé,
Sur mon oreiller de dentelle
De ma chevelure inondé.
Cet oreiller, dans les nuits folles,
A vu dormir nos fronts unis,
Et sous le drap noir des gondoles
Compté nos baisers infinis.
Entre mes mains de cire pâle,
Que la prière réunit,
Tournez ce chapelet d’opale,
Par le pape à Rome bénit :
Je l’égrènerai dans la couche
D’où nul encor ne s’est levé ;
Sa bouche en a dit sur ma bouche
Chaque Pater et chaque Ave.
Théophile Gautier poetry
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VPRO BOEKEN
Tineke Cleiren & Theodor Holman
Zondag 10 maart 2013 om 11.20 uur op Nederland 1
Tineke Cleiren en Antoine Hol: Strafrecht, tussen ratio en emotie
De Leidse hoogleraar strafrecht Tineke Cleiren schreef samen met haar man Antoine Hol, eveneens jurist, eveneens hoogleraar, het boek Strafrecht, tussen ratio en emotie. Het werd een boek waarin Cleiren uitlegt wat recht eigenlijk is, waar het voor staat en waar op dit moment in onze samenleving de knelpunten zitten.
Strafrecht, tussen ratio en emotie is een boek geworden dat uitlegt dat een goed functionerend strafrecht laveert tussen ratio en emotie, in plaats van een van die twee kanten te kiezen. Het beantwoordt vragen over eigenrichting, slachtofferschap, vergelding, verwerking en volksgerichten. Bijvoorbeeld legt het uit dat Officieren van Justitie niet alleen maar ‘crimefighters’ zijn die zorgen voor belastend bewijsmateriaal, maar dat ze ook voor ontlastend materiaal moeten zorgen. Alle denkbare paden moeten gevolgd worden, en aan iedere zaak zitten twee kanten. Hoe dit in de praktijk werkt, legt Cleiren zondag uit.
Theodor Holman: De grootste truc aller tijden
Schrijver Theodor Holman wist vrijwel niets van de Tweede Wereldoorlog in Nederlands-Indië. Daar kwam hij achter toen hij twee jaar geleden een redevoering hield bij een herdenking. Zijn ouders en zijn zus zaten in een jappenkamp, maar zijn ouders konden de woorden niet vinden om er goed over te vertellen en de jonge Theodor sloot zich af voor de verhalen. Nu maakt hij het goed, met De grootste truc aller tijden schreef hij een Indische familiegeschiedenis.
In de nalatenschap van zijn ouders vond hij het kampdagboek van zijn vader. Een klein, beduimeld boekje van pakpapier waarin zijn vader in priegelig handschrift zijn belevenissen aan de Birma-spoorlijn neerschreef. Achterin het boekje had zijn vader, die een niet onverdienstelijk goochelaar was, alle kaarttrucs die hij kende opgeschreven. De schrijver had zijn invalshoek gevonden en vertelt aanstaande zondag over zijn nieuwe boek, dat gaat over de ‘illusies die het leven ons flikt’.
Meer informatie op website: ≡ VPRO BOEKEN
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In Memoriam
Tsjêbbe Hettinga
(1949 – 2013)
Op 7 maart 2013 is in Leeuwarden de Friese dichter Tsjêbbe Hettinga overleden in. Vanaf zijn jeugdjaren kampte hij met een beperkt gezichtsvermogen. Desondanks trad hij vaak op tijdens poëzieavonden en literaire festivals. In december vorig jaar werd kanker bij hem geconstateerd. Hij werd vierenzestig jaar.
Hettinga groeide op als boerenzoon, op het Friese platteland. Hij volgde de kweekschool en studeerde in Groningen Nederlands en Fries. De afgelopen dertig jaar woonde hij in Leeuwarden. Tsjêbbe Hettinga heeft meer dan tien dichtbundels geschreven in de Friese Taal. Hij werd het boegbeeld van de Friese literatuur. Er is ook werk van hem vertaald in het Nederlands (Benno Barnard) en het Engels (James Brockway en Susan Massotty). In 2010 schreef Tsjêbbe Hettinga de Nationale Gedichtendagbundel.
Meer informatie op: ≡ Fryske literatuerside
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Bûchers et tombeaux
Le squelette était invisible,
Au temps heureux de l’Art païen ;
L’homme, sous la forme sensible,
Content du beau, ne cherchait rien.
Pas de cadavre sous la tombe,
Spectre hideux de l’être cher,
Comme d’un vêtement qui tombe
Se déshabillant de sa chair,
Et, quand la pierre se lézarde,
Parmi les épouvantements,
Montrait à l’oeil qui s’y hasarde
Une armature d’ossements ;
Mais au feu du bûcher ravie
Une pincée entre les doigts,
Résidu léger de la vie,
Qu’enserrait l’urne aux flancs étroits ;
Ce que le papillon de l’âme
Laisse de poussière après lui,
Et ce qui reste de la flamme
Sur le trépied, quand elle a lui !
Entre les fleurs et les acanthes,
Dans le marbre joyeusement,
Amours, aegipans et bacchantes
Dansaient autour du monument ;
Tout au plus un petit génie
Du pied éteignait un flambeau ;
Et l’art versait son harmonie
Sur la tristesse du tombeau.
Les tombes étaient attrayantes:
Comme on fait d’un enfant qui dort,
D’images douces et riantes
La vie enveloppait la mort ;
La mort dissimulait sa face
Aux trous profonds, au nez camard,
Dont la hideur railleuse efface
Les chimères du cauchemar.
Le monstre, sous la chair splendide
Cachait son fantôme inconnu,
Et l’oeil de la vierge candide
Allait au bel éphèbe nu.
Seulement pour pousser à boire,
Au banquet de Trimalcion,
Une larve, joujou d’ivoire,
Faisait son apparition;
Des dieux que l’art toujours révère
Trônaient au ciel marmoréen ;
Mais l’Olympe cède au Calvaire,
Jupiter au Nazaréen ;
Une voix dit : Pan est mort ! – L’ombre
S’étend. – Comme sur un drap noir,
Sur la tristesse immense et sombre
Le blanc squelette se fait voir ;
Il signe les pierres funèbres
De son paraphe de fémurs,
Pend son chapelet de vertèbres
Dans les charniers, le long des murs,
Des cercueils lève le couvercle
Avec ses bras aux os pointus ;
Dessine ses côtes en cercle
Et rit de son large rictus ;
Il pousse à la danse macabre
L’empereur, le pape et le roi,
Et de son cheval qui se cabre
Jette bas le preux plein d’effroi ;
Il entre chez la courtisane
Et fait des mines au miroir,
Du malade il boit la tisane,
De l’avare ouvre le tiroir ;
Piquant l’attelage qui rue
Avec un os pour aiguillon,
Du laboureur à la charrue
Termine en fosse le sillon ;
Et, parmi la foule priée,
Hôte inattendu, sous le banc,
Vole à la pâle mariée
Sa jarretière de ruban.
A chaque pas grossit la bande;
Le jeune au vieux donne la main ;
L’irrésistible sarabande
Met en branle le genre humain.
Le spectre en tête se déhanche,
Dansant et jouant du rebec,
Et sur fond noir, en couleur blanche,
Holbein l’esquisse d’un trait sec.
Quand le siècle devient frivole
Il suit la mode; en tonnelet
Retrousse son linceul et vole
Comme un Cupidon de ballet
Au tombeau-sofa des marquises
Qui reposent, lasses d’amour,
En des attitudes exquises,
Dans les chapelles Pompadour.
Mais voile-toi, masque sans joues,
Comédien que le ver rnord,
Depuis assez longtemps tu joues
Le mélodrame de la Mort.
Reviens, reviens, bel art antique,
De ton paros étincelant
Couvrir ce squelette gothique ;
Dévore-le, bûcher brûlant !
Si nous sommes une statue
Sculptée à l’image de Dieu,
Quand cette image est abattue,
Jetons-en les débris au feu.
Toi, forme immortelle, remonte
Dans la flamme aux sources du beau,
Sans que ton argile ait la honte
Et les misères du tombeau !
Théophile Gautier poetry
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Théophile Gautier
(1811-1872)
Apollonie
J’aime ton nom d’Apollonie,
Echo grec du sacré vallon,
Qui, dans sa robuste harmonie,
Te baptise soeur d’Apollon.
Sur la lyre au plectre d’ivoire,
Ce nom splendide et souverain,
Beau comme l’amour et la gloire,
Prend des résonances d’airain.
Classique, il fait plonger les Elfes
Au fond de leur lac allemand,
Et seule la Pythie à Delphes
Pourrait le porter dignement,
Quand relevant sa robe antique
Elle s’assoit au trépied d’or,
Et dans sa pose fatidique
Attend le dieu qui tarde encor.
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Mireille Havet
(1898-1932)
Histoire du petit cheval noir
Le petit cheval, noir comme du jais, trotte sur la route de campagne. Ses deux oreilles bien levées comme des cornets à surprise et sa queue empanachée comme un plumeau qu’agite la brise.
Il est content, le petit cheval, parce que l’air est bleu sur toute la campagne. La carriole qui sonne derrière sa croupe luisante est légère et le paysan Mathieu gai et propre dans sa blouse bleue, n’emporte jamais de fouet.
« Ah les beaux cailloux ! comme ils roulent bien sous mes quatre sabots, pense le petit cheval, et que mon estomac est agréablement rempli d’avoine. Allons, vite, vite à la ferme qui est située dans la vallée. Là, je retrouverai un petit cheval blanc que j’affectionne énormément. »
Mais voilà, que sous le lourd soleil de midi, qui est monté au fond du ciel, le gai paysan Mathieu s’est endormi. Sa bonne grosse tête est secouée de droite à gauche, de gauche à droite, par les cahots de la voiture et, devant ses yeux clos, passent des visions champêtres… La route, avant d’arriver à la ferme est raide, si raide, qu’on n’y pourrait jouer à courir sans tomber.
Mais, le petit cheval ne sait pas cela, parce qu’une main sûre, jusqu’à ce matin-là, avait toujours tenu ses guides. Et de toute la force de ses quatre jambes solides il se lance dans le sentier, avec par derrière lui, la carriole sonnante. Ah ! qu’est-il arrivé ?
Mathieu fut réveillé par une grande secousse, qui le projeta en l’air, comme une balle, et par un hennissement pitoyable. Le petit cheval noir, plié sur ses genoux de devant, était recouvert, à moitié, par la carriole qui pesait sur son dos… et il hennissait… il hennissait, parce qu’il avait mal à ses genoux écorchés.
« Ah ! pensait le petit cheval, comment faire maintenant ? j’ai si mal ! et je n’ai pas la force de me relever. J’étais si heureux de courir, avec du soleil de tous les côtés et l’air piquant dans mes naseaux ouverts. Maintenant je vais boiter comme un vieux cheval infirme. Quelle tristesse ! » Et il pleurait.
Ce n’est qu’une heure après, que Mathieu avec, d’autres garçons, purent dégager le petit cheval noir et l’aider à se relever.
Mais dans quel état ! Toute la peau de ses genoux enlevée. Ses pauvres genoux ! On le ramena à son écurie : là-haut, sur le coteau, pendant que le soleil se couchait, comme cela, avec une multitude de rayons. Le ciel ressemblait à un champ de blé.
Et le petit cheval sentait son cœur lourd comme une grosse pierre et il se disait : « Vais-je mourir ? » Mais il ne mourut pas. Ce n’était que des écorchures. On le soigna très bien. On le fit reposer et on lui donna abondamment à manger.
Cependant depuis, il n’a jamais voulu, mais jamais ! reprendre le chemin en pente qui conduit dans la vallée.
La Maison dans l’œil du chat. Paris, éditions Georges Crès & Cie, 1917
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Mireille Havet
(1898-1932)
C’est ce désir du monde
À Mlle Lilie de Lanux
C’est ce désir du monde
qui m’hallucine !
La hantise de ce qui reste à créer
dans les contrées
neuves comme mon ardeur.
L’aube monte,
éclate aux vitres et joue un instant
avec les rainures du volet.
C’est avant l’aube qu’il faut partir..!
La douceur du jour vous rattache aux choses
qui ont bercé l’enfance.
Avec rudesse : il faut partir !
Ceindre ses reins de la ceinture d’acier
dont les clous mordent la chair
à la moindre défaillance.
Traverser le jardin, sans cueillir de fleurs,
ne pas s’attarder à la barrière qui grince !
Partir… avant l’heure.
C’est la rudesse qui dirige.
C’est la ligne droite et la route poudreuse,
dans l’aurore malléable,
qui attirent.
Et la poussière se fait légère et douce
aux talon nus
qui s’y enfoncent avec volupté !
Les horizons ne sont pas des mythes
Ils sont là pour être traversés ! vaincus ! Livrés !
Tous les secrets des montagnes,
toute la langueur des rivières,
toute la force mystique de l’océan indomptable
et le désert, qui noie, mieux que l’onde
sont pour nous.
Pour Toi : Voyageur désirable !
Que rien n’harasse et que rien ne déçoit :
avec ta besace grise sur ta hanche
ton dur bâton !
Sans arme ! Et sans fortune !
Livré au ciel, comme Jésus-Christ
Le fut aux hommes,
Livré avec le seul vêtement
de ta chair : à la source
qui coule en chantant
sur tes reins.
Les cimes ! Les cimes !
Nous appellent, se dressant
multiples et farouches
comme un désir qui s’amplifie.
Elle s’exhaussent
les unes sur les autres,
harcelant nos yeux
qui ne peuvent tout posséder !
Ô courses folles
dans la nuit,
avec les constellations jusqu’aux épaules
et la tentation de les prendre à pleine main.
Usure exquise de tout ce qui dort en nous
et s’éveille, au contact des ouragans
et des soleils,
absorptions entière de la Terre
par tous les pores de la peau
cuivrée, durcie !
Possession enfin palpable
de ce que Dieu donna à l’homme
pour l’aider à conquérir le ciel.
Possession unique !
Dure comme un arc bandé,
dont la flèche serait,
un désir insatiable
d’une portée illimitée.
Voici la nuit sur la ville.
En haut de la grande Tour,
un paon s’éploie
comme un drapeau d’azur.
Et c’est le signe !
Et c’est le flambeau !
Ah ! Partons sans détour,
pendant que la soif dure encore
et avant d’être résignés.
Pendant que sur ce mur, l’oiseau sonore
clame la détresse des prisonniers.
Dans mes libres membres bouillonne,
La folle promesse de l’univers
qui s’abandonne
à mon désir.
Revue La Presqu’île n°4 (octobre 1916)
Mireille Havet poetry
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Robert Graves
(1895-1985)
She Tells Her Love While Half Asleep
She tells her love while half asleep,
In the dark hours,
With half-words whispered low:
As Earth stirs in her winter sleep
And puts out grass and flowers
Despite the snow,
Despite the falling snow.
Robert Graves poetry
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More in: *War Poetry Archive, Archive G-H
Mireille Havet
(1898-1932)
Adieu à la Touraine
À Christiane et à Paul Aeschimann
Ah ! c’est bien tentant de se casser la figure
et d’épanouir son sang sur la terre dure !
Par la fenêtre ouverte : se jeter !
Mourir !
Et le crépuscule laisse monter la lune.
Touraine ! Terre de nos rois,
cœur de France, qu’entoure la guerre
comme un serre-téte sanglant
Touraine !
Tu te mires dans la rivière
avec le croissant de la lune nouvelle.
J’ai vu ton soleil s’évanouir sur la forêt,
glisser avec langueur le long des troncs ambrés,
répandre avec volupté
l’amour de ses flancs dilatés
par cette dernière étreinte d’Automne,
et les rivières, à travers Toi ! Touraine !
à travers toi ! ma France !
s’en vont claires comme des veines
sillonnant tes champs de gais reflets d’argent.
Voici le dernier soir !
La vie nouvelle réclame à chaque instant
une ferveur nouvelle,
et c’est déjà le Départ.
Dernier soir campagnard, ma douleur est intense.
Touraine qui m’as reçue pendant un an de guerre,
à Toi j’adresse ce soir
un dernier appel et une dernière prière.
Tu ne m’as pas trop donné, Touraine !
j’ai su te comprendre et j’ai su t’aimer.
Belles chevauchées des rois à travers la forêt,
vous hantez mes rêves et je pars à regret.
Mais ainsi…..
La guerre perpétuelle aiguise ma nostalgie.
C’est la vie que j’appelle !
Que la mort soit bannie !
Toute ma force se révolte en te contemplant
ma terre !
Toi que l’on a voulu prendre,
que l’on a voulu enlever à ma jeunesse
et que j’aime d’un amour illimité !
Les voitures passent sur le pont.
La roue du moulin tourne près du pont.
J’entends son rythme lent
et le saut des poissons (sous le pont).
Tout cela va finir.
C’est le dernier soir.
Je ne verrai plus le jardin provincial
avec ses fouillis d’herbe
et son grand ciel d’étoile.
Éperdument je me rejette dans la vie bourdonnante,
dans Paris : ma ville fascinante.
Mais le triste attrait de ce que l’on quitte
me retient en arrière…
Ah ! faiblesse ! Mauvaise constitution de l’homme
en face de l’Avenir !
Il faut partir,
Éternellement quitter.
Le but n’est pas ici. Il est beaucoup plus loin,
derrière la mort, — en dehors de l’atteinte de nos mains
Mais que ce serait bon de l’atteindre tout de suite,
avant d’être fatigué par les nombreuses étapes !
De l’atteindre en pleine force,
du haut de cette fenêtre,
et d’épanouir son sang
dans le sang de l’Automne,
de la guerre perpétuelle
et du canon qui tonne !
Ah ! le désir de vivre est encore le plus fort !
Je suis liée à mes dix-sept ans par un sort
et Je ne peux me sauver…..
France, sur toi, sur ton poitrail calme,
mais cerné de frontières enflammées,
je m’écrase ce soir !
flambante, Moi aussi, du désir de savoir !
Sur cette calme Touraine que je domine
de toute ma destinée incertaine,
je m’appuie pour commencer ma Vie !
Base de terre qui ne croulera pas
sous le poids de ma jeunesse,
tu seras mon point de départ,
et ton ciel verse en moi
toute l’allégresse
qui berça nos rois !
Revue Le Mercure de France n°431 (1er juin 1916)
Mireille Havet poetry
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