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Alfred Jarry: Ubu roi – Acte I


Alfred Jarry

(1873-1907)

UBU ROI

ou

les Polonais

par ALFRED JARRY

 

Drame en cinq Actes en prose

 Restitué en son intégrité tel qu’il a été représenté par les

marionnettes du Théâtre des Phynances en 1888.

 

Ce drame est dédié

à

MARCEL SCHWOB

 

 

Adonc le Père Ub

hoscha la poir

dont fut depuis

nommé par les Anglois

Shakespeare,

et avez de lui sous

ce nom maintes

belles tragoedies par

escript.

PERSONNAGES

Père Ubu.

Mère Ubu.

Capitaine Bordure.

Le Roi Venceslas.

La Reine Rosemonde.

Boleslas…)

Ladislas…) leurs fils.

Bougrelas..)

Le général Lascy.

Stanislas Leczinski.

Jean Sobieski.

Nicolas Rensky.

 L’Empereur Alexis.

 Giron…)

 Pile….) Palotins.

 Cotice..)

 Conjurés & Soldats.

 Peuple.

 Michel Fédérovitch.

 Nobles.

 Magistrats.

 Conseillers.

 Financiers.

 Larbins de Phynances.

 Paysans.

 Toute l’Armée russe.

 Toute l’Armée polonaise.

 Les Gardes de la Mère Ubu.

 Un Capitaine.

 L’Ours.

 Le Cheval à Phynances.

 La Machine à décerveler.

 L’Equipage.

Le Commandant.

 


Acte Premier


Scène Première

 

PÈRE UBU, MÈRE UBU

 


Père Ubu:

 

–Merdre.

 

Mère Ubu:

 

–Oh! voilà du joli, Père Ubu, vous estes un fort grand voyou.

 

Père Ubu:

 

–Que ne vous assom’je, Mère Ubu!

 

Mère Ubu:

 

–Ce n’est pas moi, Père Ubu, c’est un autre qu’il faudrait

assassiner.

 

Père Ubu:

 

–De par ma chandelle verte, je ne comprends pas.

 

Mère Ubu:

 

–Comment, Père Ubu, vous estes content de votre sort?

 

Père Ubu:

 

–De par ma chandelle verte, madame, certes oui, je suis content. On

le serait à moins: capitaine de dragons, officier de confiance du roi

Venceslas, décoré de l’ordre de l’Aigle Rouge de Pologne et ancien roi

d’Aragon, que voulez-vous de mieux?

 

Mère Ubu:

 

–Comment! après avoir été roi d’Aragon vous vous contentez de mener

aux revues une cinquantaine d’estafiers armés de coupe-choux, quand

vous pourriez faire succéder sur votre fiole la couronne de Pologne à

celle d’Aragon?

 

Père Ubu:

 

–Ah! Mère Ubu, je ne comprends rien de ce que tu dis.

 

Mère Ubu:

 

–Tu es sí bête!

 

Père Ubu:

 

–De par ma chandelle verte, le roi Venceslas est encore bien vivant:

et même en admettant qu’il meure, n’a-t-il pas des légions d’enfants?

 

Mère Ubu:

 

–Oui t’empêche de massacrer toute la famille et de te mettre à leur

place?

 

Père Ubu:

 

–Ah! Mère Ubu, vous me faites injure et vous allez passer tout à

l’heure par la casserole.

 

Mère Ubu:

 

–Eh! pauvre malheureux, si je passais par la casserole, qui te

raccommoderait tes fonds de culotte?

 

Père Ubu:

 

–Eh vraiment! et puis après? N’ai-je pas un cul comme les autres?

 

Mère Ubu:

 

–A ta place, ce cul, je voudrais l’installer sur un trône. Tu

pourrais augmenter indéfiniment tes richesses, manger fort souvent

de l’andouille et rouler carrosse par les rues.

 

Père Ubu:

 

–Si j’étais roi, je me ferais construire une grande capeline comme

celle que j’avais en Aragon et que ces gredins d’Espagnols m’ont

impudemment volée.

 

Mère Ubu:

 

–Tu pourrais aussi te procurer un parapluie et un grand caban qui te

tomberait sur les talons.

 

Père Ubu:

 

–Ah! je cède à la tentation. Bougre de merdre, merdre de bougre, si

jamais je le rencontre au coin d’un bois, il passera un mauvais quart

d’heure.

 

Mère Ubu:

 

–Ah! bien, Père Ubu, te voilà devenu un véritable homme.

 

Père Ubu:

 

–Oh non! moi, capitaine de dragons, massacrer le roi de Pologne!

plutôt mourir!

 

Mère Ubu (à part):

 

–Oh! merdre! (Haut) Ainsi tu vas rester gueux comme un rat, Père Ubu.

 

Père Ubu:

 

–Ventrebleu, de par ma chandelle verte, j’aime mieux être gueux comme

un maigre et brave rat que riche comme un méchant et gras chat.

 

Mère Ubu:

 

–Et la capeline? et le parapluie? et le grand caban?

 

Père Ubu:

 

–Eh bien, après, Mère Ubu? (Il s’en va en claquant la porte.)

 

Mère Ubu (seule):

 

–Vrout, merdre, il a été dur à la détente, mais vrout, merdre, je crois

pourtant l’avoir ébranlé. Grâce à Dieu et à moi-même, peut-être dans

huit jours serai-je reine de Pologne.

 

 

 

 

Scène II

 

(La scène représente une chambre de la maison du Père Ubu où une table

splendide est dressée.)

 

 

PÈRE UBU, MÈRE UBU

 

 

Mère Ubu:

 

–Eh! nos invités sont bien en retard.

 

Père Ubu:

 

–Oui, de par ma chandelle verte. Je crève de faim, Mère Ubu, tu es bien

laide aujourd’hui. Est-ce parce que nous avons du monde?

 

Mère Ubu (haussant les épaules):

 

–Merdre.

 

Père Ubu (saisissant un poulet rôti):

 

–Tiens, j’ai faim. Je vais mordre dans cet oiseau. C’est un poulet, je

crois. Il n’est pas mauvais.

 

Mère Ubu:

 

–Que fais-tu, malheureux? Que mangeront nos invités?

 

Père Ubu:

 

–Ils en auront encore bien assez. Je ne toucherai plus à rien. Mère

Ubu, va donc voir à la fenêtre si nos invités arrivent.

 

Mère Ubu (y allant):

 

–Je ne vois rien. (Pendant ce temps le Père Ubu dérobe une rouelle

de veau.)

 

Mère Ubu:

 

–Ah! voilà le capitaine Bordure et ses partisans qui arrivent. Que

manges-tu donc, Père Ubu?

 

Père Ubu:

 

–Rien, un peu de veau.

 

Mère Ubu:

 

–Ah! le veau! le veau! veau! Il a mangé le veau! Au secours!

 

Père Ubu:

 

–De par ma chandelle verte, je te vais arracher les yeux.

 

(La porte s’ouvre.)

 

 

 

Scène III

 

 

PÈRE UBU, MÈRE UBU, CAPITAINE BORDURE et ses partisans.

 

 

Mère Ubu:

 

–Bonjour, messieurs, nous vous attendons avec impatience. Asseyez-vous.

 

Capitaine Bordure:

 

–Bonjour, madame. Mais où est donc le Père Ubu?

 

Père Ubu:

 

–Me voilà! me voilà! Sapristi, de par ma chandelle verte, je suis

pourtant assez gros.

 

Capitaine Bordure:

 

–Bonjour, Père Ubu. Asseyez-vous, mes hommes. (Ils s’asseyent tous.)

 

Père Ubu:

 

–Ouf, un peu plus, j’enfonçais ma chaise.

 

Capitaine Bordure:

 

–Eh! Mère Ubu! que nous donnez-vous de bon aujourd’hui?

 

Mère Ubu:

 

–Voici le menu.

 

Père Ubu:

 

–Oh! ceci m’intéresse.

 

Mère Ubu:

 

–Soupe polonaise, côtes de rastron, veau, poulet, pâté de chien,

croupions de dinde, charlotte russe…

 

Père Ubu:

 

–Eh! en voilà assez, je suppose. Y en a-t-il encore?

 

Mère Ubu (continuant):

 

–Bombe, salade, fruits, dessert, bouilli, topinambours, chouxfleurs

à la merdre.

 

Père Ubu:

 

–Eh! me crois-tu empereur d’Orient pour faire de telles dépenses?

 

Mère Ubu:

 

–Ne l’écoutez pas, il est imbécile.

 

Père Ubu:

 

–Ah! je vais aiguiser mes dents contre vos mollets.

 

Mère Ubu:

 

–Dîne plutôt, Père Ubu. Voilà de la polonaise.

 

Père Ubu:

 

–Bougre, que c’est mauvais.

 

Capitaine Bordure:

 

–Ce n’est pas bon, en effet.

 

Mère Ubu:

 

–Tas d’Arabes, que vous faut-il?

 

Père Ubu (se frappant le front):

 

–Oh! j’ai une idée. Je vais revenir tout à l’heure. (Il s’enva.)

 

Mère Ubu:

 

–Messieurs, nous allons goûter du veau.

 

Capitaine Bordure:

 

–Il est très bon, j’ai fini.

 

Mère Ubu:

 

–Aux croupions, maintenant.

 

Capitaine Bordure:

 

–Exquis, exquis! Vive la mère Ubu.

 

Tous:

 

–Vive la Mère Ubu.

 

Père Ubu (rentrant):

 

–Et vous allez bientôt crier vive le Père Ubu. (Il tient un balai

innommable à la main et le lance sur le festin.)

 

Mère Ubu:

 

–Misérable, que fais-tu?

 

Père Ubu:

 

–Goûtez un peu. (Plusieurs goûtent et tombent empoisonnés.)

 

Père Ubu:

 

–Mère Ubu, passe-moi les côtelettes de rastron, que je serve.

 

Mère Ubu:

 

–Les voici.

 

Père Ubu:

 

–A la porte tout le monde! Capitaine Bordure, j’ai à vous parler.

 

Les Autres:

 

–Eh! nous n’avons pas dîné.

 

Père Ubu:

 

–Comment, vous n’avez pas dîné! A la porte tout le monde! Restez,

Bordure. (Personne ne bouge.)

 

Père Ubu:

 

–Vous n’êtes pas partis? De par ma chandelle verte, je vais vous

assommer de côtes de rastron. (_Il commence à en jeter_.)

 

Tous:

 

–Oh! Aïe! Au secours! Défendons-nous! malheur! je suis mort!

 

Père Ubu:

 

–Merdre, merdre, merdre. A la porte! je fais mon effet.

 

Tous:

 

–Sauve qui peut! Misérable Père Ubu! traître et gueux voyou!

 

Père Ubu:

 

–Ah! les voilà partis. Je respire, mais j’ai fort mal dîné. Venez,

Bordure. (Ils sortent avec la Mère Ubu.)

 


 

Scène IV

 

PÈRE UBU, MÈRE UBU, CAPITAINE BORDURE

  

Père Ubu:

 

–Eh bien, capitaine, avez-vous bien dîné?

 

Capitaine Bordure:

 

–Fort bien, monsieur, sauf la merdre.

 

Père Ubu:

 

–Eh! la merdre n’était pas mauvaise.

 

Mère Ubu:

 

–Chacun son goût.

 

Père Ubu:

 

–Capitaine Bordure, je suis décidé à vous faire duc de Lithuanie.

 

Capitaine Bordure:

 

–Comment, je vous croyais fort gueux, Père Ubu.

 

Père Ubu:

 

–Dans quelques jours, si vous voulez, je règne en Pologne.

 

Capitaine Bordure:

 

–Vous allez tuer Venceslas?

 

Père Ubu:

 

–Il n’est pas bête, ce bougre, il a deviné.

 

Capitaine Bordure:

 

–S’il s’agit de tuer Venceslas, j’en suis. Je suis son mortel ennemi

et je réponds de mes hommes.

 

Père Ubu (se jetant sur lui pour l’embrasser):

 

–Oh! Oh! je vous aime beaucoup, Bordure.

 

Capitaine Bordure:

 

–Eh! vous empestez, Père Ubu. Vous ne vous lavez donc jamais?

 

Père Ubu:

 

–Rarement.

 

Mère Ubu:

 

–Jamais!

 

Père Ubu:

 

–Je vais te marcher sur les pieds.

 

Mère Ubu:

 

–Grosse merdre!

 

Père Ubu:

 

–Allez, Bordure, j’en ai fini avec vous. Mais par ma chandelle verte,

je jure sur la Mère Ubu de vous faire duc de Lithuanie.

 

Mère Ubu:

 

–Mais…

 

Père Ubu:

 

–Tais-toi, ma douce enfant.

 

(Ils sortent.)

 

 

 

Scène V

 

 

PÈRE UBU, MÈRE UBU, UN MESSAGER

 

 

Père Ubu:

 

–Monsieur, que voulez-vous? fichez le camp, vous me fatiguez.

 

Le Messager:

 

–Monsieur, vous êtes appelé de par le roi.

 

(Il sort.)

 

Père Ubu:

 

–Oh! merdre, jarnicotonbleu, de par ma chandelle verte, je suis

découvert, je vais être décapité! hélas! hélas!

 

Mère Ubu:

 

–Quel homme mou! et le temps presse.

 

Père Ubu:

 

–Oh! j’ai une idée: je dirai que c’est la Mère Ubu et Bordure.

 

Mère Ubu:

 

–Ah! gros P.U., si tu fais ça…

 

Père Ubu:

 

–Eh! j’y vais de ce pas.

 

(Il sort.)

 

Mère Ubu (courant après lui):

 

–Oh! Père Ubu, Père Ubu, je te donnerai de l’andouille.

 

(Elle sort.)

 

Père Ubu (dans la coulisse):

 

–Oh! merdre! tu en es une fière, d’andouille.

 

 

 

Scène VI

 

 

Le palais du roi.

 

LE ROI VENCESLAS, entouré de ses officiers; BORDURE; les fils du roi,

BOLESLAS, LADISLAS & BOUGRELAS. Puis UBU.

 

 

Père Ubu (entrant):

 

–Oh! vous savez, ce n’est pas moi, c’est la mère Ubu et Bordure.

 

Le Roi:

 

–Qu’as-tu, Père Ubu?

 

Bordure:

 

–Il a trop bu.

 

Le Roi:

 

–Comme moi ce matin.

 

Père Ubu:

 

–Oui, je suis saoul, c’est parce que j’ai bu trop de vin de France.

 

Le Roi:

 

–Père Ubu, je tiens à récompenser tes nombreux services comme

capitaine de dragons, et je te fais aujourd’hui comte de Sandomir.

 

Père Ubu:

 

–O monsieur Venceslas, je ne sais comment vous remercier.

 

Le Roi:

 

–Ne me remercie pas, Père Ubu, et trouve-toi demain matin à la grande

revue.

 

Père Ubu:

 

–J’y serai, mais acceptez, de grâce, ce petit mirliton.

 

(Il présente au roi un mirliton.)

 

Le Roi:

 

–Que veux-tu à mon âge que je fasse d’un mirliton? Je le donnerai à

Bougrelas.

 

Le jeune Bougrelas:

 

–Est-il bête, ce Père Ubu.

 

Père Ubu:

 

–Et maintenant je vais foutre le camp. (_Il tombe en se retournant_.)

Oh! aïe! au secours! De par ma chandelle verte, je me suis rompu

l’intestin et crevé la bouzine!

 

Le Roi (le relevant):

 

–Père Ubu, vous estes-vous fait mal?

 

Père Ubu:

 

–Oui certes, et je vais sûrement crever. Que deviendra la Mère Ubu?

 

Le Roi:

 

–Nous pourvoirons à son entretien.

 

Père Ubu:

 

–Vous avez bien de la bonté de reste. (_Il sort_.) Oui, mais, roi

Venceslas, tu n’en seras pas moins massacré.

 

 

 

Scène VII

 

 

La maison d’Ubu.

 

GIRON, PILE, COTICE, PÈRE UBU, MÈRE UBU, Conjurés & Soldats,

CAPITAINE BORDURE.

 

 

Père Ubu:

 

–Eh! mes bons amis, il est grand temps d’arrêter le plan de la

conspiration. Que chacun donne son avis. Je vais d’abord donner le

mien, si vous le permettez.

 

Capitaine Bordure:

 

–Parlez, Père Ubu.

 

Père Ubu:

 

–Eh bien, mes amis, je suis d’avis d’empoisonner simplement le roi

en lui fourrant de l’arsenic dans son déjeuner. Quand il voudra le

brouter il tombera mort, et ainsi je serai roi.

 

Tous:

 

–Fi, le sagouin!

 

Père Ubu:

 

–Eh quoi, cela ne vous plaît pas? Alors, que Bordure donne son avis.

 

Capitaine Bordure:

 

–Moi, je suis d’avis de lui ficher un grand coup d’épêe qui le fendra

de la tête à la ceinture.

 

Tous:

 

–Oui! voilà qui est noble et vaillant.

 

Père Ubu:

 

–Et sil vous donne des coups de pied? Je me rappelle maintenant qu’il

a pour les revues des souliers de fer qui font très mal. Si je savais,

je filerais vous dénoncer pour me tirer de cette sale affaire, et je

pense qu’il me donnerait aussi de la monnaie.

 

Mère Ubu:

 

–Oh! le traître, le lâche, le vilain et plat ladre.

 

Tous:

 

–Conspuez le Père Ub!

 

Père Ubu:

 

–Hé, messieurs, tenez-vous tranquilles si vous ne voulez visiter mes

poches. Enfin je consens à m’exposer pour vous. De la sorte, Bordure,

tu te charges de pourfendre le roi.

 

Capitaine Bordure:

 

–Ne vaudrait il pas mieux nous jeter tous à la fois sur lui en

braillant et gueulant? Nous aurions chance ainsi d’entraîner les

troupes.

 

Père Ubu:

 

–Alors, voilà. Je tâcherai de lui marcher sur les pieds, il

regimbera, alors je lui dirai: MERDRE, et à ce signal vous vous

jetterez sur lui.

 

Mère Ubu:

 

–Oui, et dès qu’il sera mort tu prendras son sceptre et sa couronne.

 

Capitaine Bordure:

 

–Et je courrai avec mes hommes à la poursuite de la famille royale.

 

Père Ubu:

 

–Oui, et je te recommande spécialement le jeune Bougrelas.

 

(Ils sortent.)

 

Père Ubu (courant après et les faisant revenir):

 

–Messieurs, nous avons oublié une cérémonie indispensable, il faut

jurer de nous escrimer vaillamment.

 

Capitaine Bordure:

 

–Et comment faire? Nous n’avons pas de prêtre.

 

Père Ubu:

 

–La Mère Ubu va en tenir lieu.

 

Tous:

 

–Eh bien, soit.

 

Père Ubu:

 

–Ainsi, vous jurez de bien tuer le roi?

 

Tous:

 

–Oui, nous le jurons. Vive le Père Ubu!

 

 

Fin du premier Acte.

 

Alfred Jarry

Ubu roi

Acte I

fleursdumal.nl magazine

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Alfred Jarry: Linteau

Alfred Jarry

(1873-1907)


L i n t e a u

Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau (sans superlatif : départ); et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. Car ils entreverront des idées entrebâillées, non brodées de leurs usuelles accompagnatrices, et s’étonneront du manque de maintes citations congrues, alors qu’il se compile des manuels où tout jeune homme lit ce qui est nécessaire pour suivre lesdits usages. Il est bien d’avoir fréquenté chez les siècles divers des philosophes, pour apprendre 1° l’absurdité de répéter leurs doctrines, qui, récentes, traînent aux cafés et brasseries, plus vieilles, aux cahiers des potaches; 2° et surtout, la double absurdité de citer l’étai du nom d’un philosophe, quand chacune de ses idées, prise hors de l’ensemble du système, bave des lèvres d’un gâteux (Et ce bout de dissertation est tout aussi banal que la banalité d’il ne faut pas tout dire qu’il explique) …

Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature (auxquelles faussement on a comparé l’œuvre seule de génie, toute œuvre écrite y étant semblable), la dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau. Confusion et danger : l’œuvre d’ignorance aux mots bulletins de votre pris hors de leur sens ou plus justement sans préférence de sens. Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversités des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante; et pour peu que la forme soit abrupte et irrégulière, par manque d’avoir su la régularité, toute régularité inattendue luit, pierre, orbite, œil de paon, lampadaire, accord final. – Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile, de l’Autre, simplicité* condensée, diamant du charbon, œuvre unique faite de toutes les oeuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de notre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens que l’on puisse y trouver est constant; en celle-là, indéfiniment varié.

(DILEMME) De par ceci qu’on écrit l’œuvre, active supériorité sur l’audition passive. Tous les sens qu’y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les trouvera tous; et l’auteur lui en peut indiquer, colin-maillard cérébral, d’inattendus, postérieurs et contradictoires.

Mais 2° Cas. Lecteur infiniment supérieur par l’intelligence à celui qui écrivit. – N’ayant point écrit l’œuvre, il ne la néanmoins pénètre point, reste parallèle, sinon égal, au lecteur du Ier Cas.

3° Si impossible il s’identifie à l’auteur, l’auteur au moins dans le passé le surpassa écrivant l’œuvre, moment unique où il vit TOUT (et n’eut, comme ci-dessus, garde de le dire. C’eût été (Cf. Pataph.) association d’idées animalement passive, dédain (ou manque) du libre-arbitre ou de l’intelligence choisissante, et sincérité, anti-esthétique et méprisable).

4° Si passé ce moment unique l’auteur oublie (et l’oubli est indispensable – timeo hominem… – pour retourner le style en sa cervelle et y buriner l’œuvre nouvelle), la constante du rapport précité lui est jalon pour retrouver TOUT. Et ceci n’est qu’accessoire de cette réciproque : quand même il n’eût point su toutes choses y afférentes en écrivant l’œuvre, il lui suffit de deux jalons placés (encoche, point de mire) – par intuition, si l’on veut un mot – pour TOUT décrire (dirait le tire-ligne au compas) et découvrir. Et Descartes est bien petit d’ambition, qui n’a voulu qu’édifier sur un Album un système (Rien de Stuart Mill, méthode des résidus).

Il est bon d’écrire une théorie après l’œuvre, de la lire avant l’œuvre. –

Avant de lire ce qui est passable :

Il est stupide de commenter soi-même l’œuvre écrite, bonne ou mauvaise, car au moment de l’écriture on a tâché de son mieux non de dire TOUT, ce qui serait absurde, mais le plus du nécessaire (que jamais d’ailleurs le lecteur ne percevra totale), et l’on ne sera pas plus clair. Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus.

Avant de lire ce qui ne vaut rien :

Et il y a divers vers et proses que nous trouvons très mauvais et que nous avons laissé pourtant, retranchant beaucoup, parce que pour un motif qui nous échappe aujourd’hui, il nous ont donc intéressé un instant parce que nous les avons écrits; l’œuvre est plus complète quand on n’en retranche point tout le faible et le mauvais, échantillons laissés qui expliquent par similitude ou différence leurs pareils ou leurs contraires – et d’ailleurs certains ne trouveront que cela de bien.

1894

(*) La simplicité n’a pas besoin d’être simple mais du complexe resserré et synthétisé

fleursdumal.nl magazine

More in: Archive I-J, Archive I-J, Jarry, Alfred, OULIPO (PATAFYSICA)


Ben Jonson: To the memory of William Shakespeare

B e n   J o n s o n

(1572-1637)

To the memory of

my beloved master

William Shakespeare,

and what he hath left us

To draw no envy, Shakspeare, on thy name,
Am I thus ample to thy book and fame;
While I confess thy writings to be such,
As neither man, nor muse can praise too much.
’Tis true, and all men’s suffrage.  But these ways
Were not the paths I meant unto thy praise;
For silliest ignorance on these may light,
Which, when it sounds at best, but echoes right;
Or blind affection, which doth ne’er advance
The truth, but gropes, and urgeth all by chance;
Or crafty malice might pretend this praise,
And think to ruin, where it seemed to raise.
These are, as some infamous bawd, or whore,
Should praise a matron; what would hurt her more?
But thou art proof against them, and, indeed,
Above the ill-fortune of them, or the need.
I, therefore, will begin: Soul of the age!
The applause! delight! and wonder of our stage!
My Shakspeare rise!  I will not lodge thee by
Chaucer, or Spenser, or bid Beaumont lie
A little further off, to make thee room:
Thou art a monument without a tomb,
And art alive still, while thy book doth live
And we have wits to read, and praise to give.
That I not mix thee so, my brain excuses,
I mean with great, but disproportioned Muses;
For if I thought my judgment were of years,
I should commit thee surely with thy peers,
And tell how far thou didst our Lily outshine,
Or sporting Kyd, or Marlow’s mighty line.
And though thou hadst small Latin and less Greek,
From thence to honour thee, I will not seek
For names: but call forth thundering Eschylus,
Euripides, and Sophocles to us,
Pacuvius, Accius, him of Cordoua dead,
To live again, to hear thy buskin tread,
And shake a stage; or, when thy socks were on,
Leave thee alone for the comparison
Of all that insolent Greece, or haughty Rome
Sent forth, or since did from their ashes come.
Triumph, my Britain, thou hast one to show,
To whom all scenes of Europe homage owe.
He was not of an age, but for all time!
And all the Muses still were in their prime,
When, like Apollo, he came forth to warm
Our ears, or like a Mercury to charm!
Nature herself was proud of his designs,
And joyed to wear the dressing of his lines!
Which were so richly spun, and woven so fit,
As, since, she will vouchsafe no other wit.
The merry Greek, tart Aristophanes,
Neat Terence, witty Plautus, now not please;
But antiquated and deserted lie,
As they were not of nature’s family.
Yet must I not give nature all; thy art,
My gentle Shakspeare, must enjoy a part.
For though the poet’s matter nature be,
His heart doth give the fashion: and, that he
Who casts to write a living line, must sweat,
(Such as thine are) and strike the second heat
Upon the Muse’s anvil; turn the same,
And himself with it, that he thinks to frame;
Or for the laurel, he may gain a scorn;
For a good poet’s made, as well as born.
And such wert thou! Look how the father’s face
Lives in his issue, even so the race
Of Shakspeare’s mind and manners brightly shines
In his well-turnèd, and true filèd lines;
In each of which he seems to shake a lance,
As brandished at the eyes of ignorance.
Sweet Swan of Avon! what a sight it were
To see thee in our water yet appear,
And make those flights upon the banks of Thames,
That so did take Eliza, and our James!
But stay, I see thee in the hemisphere
Advanced, and made a constellation there!
Shine forth, thou star of poets, and with rage,
Or influence, chide, or cheer the drooping stage,
Which, since thy flight from hence, hath mourned like night,
And despairs day, but for thy volume’s light.

Poem of the week – November 30, 2008

kemp=mag poetry magazine

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Alfred Jarry: Le homard et la boîte de corned-beef

A l f r e d   J a r r y
(1873-1907)

 

Le homard et la boîte de corned-beef que portait
le docteur Faustroll en sautoir

Fable
Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d’une carapace dure
Sur laquelle était écrit à l’intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical) ;
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clé destinée à l’ouvrir.
Frappé d’amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s’acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d’or.

 

Poem of the week
July 6, 2008


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Alfred Jarry Poésie

A l f r e d   J a r r y

(1873-1907)

La régularité de la châsse

(…)
Pris
Dans l’eau calme de granit gris,
nous voguons sur la lagune dolente.
Notre gondole et ses feux d’or
dort
lente.
(…)

Clair,
un vol d’esprits flotte dans l’air :
corps aériens transparents, blancs linges,
inquiétants regards dardés
des
sphinges.

Et
le criblant d’un jeu de palet,
fins disques, brillez au toit gris des limbes
mornes et des souvenirs feus,
bleus
nimbes…

La
gondole spectre que hala
la mort sous les ponts de pierre en ogive,
illuminant son bord brodé
dé-
rive.

Bardes et cordes

Le roi mort, les vingt et un coups de la bombarde
Tonnent, signal de deuil, place de la Concorde.

Silence, joyeux luth, et viole et guimbarde :
Tendons sur le cercueil la plus macabre corde

Pour accompagner l’hymne éructé par le barde :
Le ciel veut l’oraison funèbre pour exorde.

L’encens vainc le fumet des ortolans que barde
La maritorne, enfant butorde non moins qu’orde.

Aux barrières du Louvre elle dormait, la garde :
Les palais sont de grands ports où la nuit aborde ;

Corse, kamoulcke, kurde, iroquoise et lombarde
Le catafalque est ceint de la jobarde horde.

Sa veille n’eût point fait camuse la camarde :
Il faut qu’un rictus torde et qu’une bouche morde.

La lame ou la dent tranche autant que le plomb arde :
Poudre aux moineaux, canons place de la Concorde.

Arme blême, le dail ne craint point l’espingarde :
Tonne, signal de deuil ; vibre, macabre corde.

Les Suisses du pavé heurtent la hallebarde :
Seigneur, prends le défunt en ta miséricorde.

 

fleursdumal.nl magazine

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