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Alfred Jarry
(1873-1907)
L i n t e a u
Il est très vraisemblable que beaucoup ne s’apercevront point que ce qui va suivre soit très beau (sans superlatif : départ); et à supposer qu’une ou deux choses les intéressent, il se peut aussi qu’ils ne croient point qu’elles leur aient été suggérées exprès. Car ils entreverront des idées entrebâillées, non brodées de leurs usuelles accompagnatrices, et s’étonneront du manque de maintes citations congrues, alors qu’il se compile des manuels où tout jeune homme lit ce qui est nécessaire pour suivre lesdits usages. Il est bien d’avoir fréquenté chez les siècles divers des philosophes, pour apprendre 1° l’absurdité de répéter leurs doctrines, qui, récentes, traînent aux cafés et brasseries, plus vieilles, aux cahiers des potaches; 2° et surtout, la double absurdité de citer l’étai du nom d’un philosophe, quand chacune de ses idées, prise hors de l’ensemble du système, bave des lèvres d’un gâteux (Et ce bout de dissertation est tout aussi banal que la banalité d’il ne faut pas tout dire qu’il explique) …
Suggérer au lieu de dire, faire dans la route des phrases un carrefour de tous les mots. Comme des productions de la nature (auxquelles faussement on a comparé l’œuvre seule de génie, toute œuvre écrite y étant semblable), la dissection indéfinie exhume toujours des œuvres quelque chose de nouveau. Confusion et danger : l’œuvre d’ignorance aux mots bulletins de votre pris hors de leur sens ou plus justement sans préférence de sens. Et celle-ci aux superficiels d’abord est plus belle, car la diversités des sens attribuables est surpassante, la verbalité libre de tout chapelet se choisit plus tintante; et pour peu que la forme soit abrupte et irrégulière, par manque d’avoir su la régularité, toute régularité inattendue luit, pierre, orbite, œil de paon, lampadaire, accord final. – Mais voici le critère pour distinguer cette obscurité, chaos facile, de l’Autre, simplicité* condensée, diamant du charbon, œuvre unique faite de toutes les oeuvres possibles offertes à tous les yeux encerclant le phare argus de la périphérie de notre crâne sphérique : en celle-ci, le rapport de la phrase verbale à tout sens que l’on puisse y trouver est constant; en celle-là, indéfiniment varié.
(DILEMME) De par ceci qu’on écrit l’œuvre, active supériorité sur l’audition passive. Tous les sens qu’y trouvera le lecteur sont prévus, et jamais il ne les trouvera tous; et l’auteur lui en peut indiquer, colin-maillard cérébral, d’inattendus, postérieurs et contradictoires.
Mais 2° Cas. Lecteur infiniment supérieur par l’intelligence à celui qui écrivit. – N’ayant point écrit l’œuvre, il ne la néanmoins pénètre point, reste parallèle, sinon égal, au lecteur du Ier Cas.
3° Si impossible il s’identifie à l’auteur, l’auteur au moins dans le passé le surpassa écrivant l’œuvre, moment unique où il vit TOUT (et n’eut, comme ci-dessus, garde de le dire. C’eût été (Cf. Pataph.) association d’idées animalement passive, dédain (ou manque) du libre-arbitre ou de l’intelligence choisissante, et sincérité, anti-esthétique et méprisable).
4° Si passé ce moment unique l’auteur oublie (et l’oubli est indispensable – timeo hominem… – pour retourner le style en sa cervelle et y buriner l’œuvre nouvelle), la constante du rapport précité lui est jalon pour retrouver TOUT. Et ceci n’est qu’accessoire de cette réciproque : quand même il n’eût point su toutes choses y afférentes en écrivant l’œuvre, il lui suffit de deux jalons placés (encoche, point de mire) – par intuition, si l’on veut un mot – pour TOUT décrire (dirait le tire-ligne au compas) et découvrir. Et Descartes est bien petit d’ambition, qui n’a voulu qu’édifier sur un Album un système (Rien de Stuart Mill, méthode des résidus).
Il est bon d’écrire une théorie après l’œuvre, de la lire avant l’œuvre. –
Avant de lire ce qui est passable :
Il est stupide de commenter soi-même l’œuvre écrite, bonne ou mauvaise, car au moment de l’écriture on a tâché de son mieux non de dire TOUT, ce qui serait absurde, mais le plus du nécessaire (que jamais d’ailleurs le lecteur ne percevra totale), et l’on ne sera pas plus clair. Qu’on pèse donc les mots, polyèdres d’idées, avec des scrupules comme des diamants à la balance de ses oreilles, sans demander pourquoi telle et telle chose, car il n’y a qu’à regarder, et c’est écrit dessus.
Avant de lire ce qui ne vaut rien :
Et il y a divers vers et proses que nous trouvons très mauvais et que nous avons laissé pourtant, retranchant beaucoup, parce que pour un motif qui nous échappe aujourd’hui, il nous ont donc intéressé un instant parce que nous les avons écrits; l’œuvre est plus complète quand on n’en retranche point tout le faible et le mauvais, échantillons laissés qui expliquent par similitude ou différence leurs pareils ou leurs contraires – et d’ailleurs certains ne trouveront que cela de bien.
1894
(*) La simplicité n’a pas besoin d’être simple mais du complexe resserré et synthétisé
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B e n J o n s o n
(1572-1637)
To the memory of
my beloved master
William Shakespeare,
and what he hath left us
To draw no envy, Shakspeare, on thy name,
Am I thus ample to thy book and fame;
While I confess thy writings to be such,
As neither man, nor muse can praise too much.
’Tis true, and all men’s suffrage. But these ways
Were not the paths I meant unto thy praise;
For silliest ignorance on these may light,
Which, when it sounds at best, but echoes right;
Or blind affection, which doth ne’er advance
The truth, but gropes, and urgeth all by chance;
Or crafty malice might pretend this praise,
And think to ruin, where it seemed to raise.
These are, as some infamous bawd, or whore,
Should praise a matron; what would hurt her more?
But thou art proof against them, and, indeed,
Above the ill-fortune of them, or the need.
I, therefore, will begin: Soul of the age!
The applause! delight! and wonder of our stage!
My Shakspeare rise! I will not lodge thee by
Chaucer, or Spenser, or bid Beaumont lie
A little further off, to make thee room:
Thou art a monument without a tomb,
And art alive still, while thy book doth live
And we have wits to read, and praise to give.
That I not mix thee so, my brain excuses,
I mean with great, but disproportioned Muses;
For if I thought my judgment were of years,
I should commit thee surely with thy peers,
And tell how far thou didst our Lily outshine,
Or sporting Kyd, or Marlow’s mighty line.
And though thou hadst small Latin and less Greek,
From thence to honour thee, I will not seek
For names: but call forth thundering Eschylus,
Euripides, and Sophocles to us,
Pacuvius, Accius, him of Cordoua dead,
To live again, to hear thy buskin tread,
And shake a stage; or, when thy socks were on,
Leave thee alone for the comparison
Of all that insolent Greece, or haughty Rome
Sent forth, or since did from their ashes come.
Triumph, my Britain, thou hast one to show,
To whom all scenes of Europe homage owe.
He was not of an age, but for all time!
And all the Muses still were in their prime,
When, like Apollo, he came forth to warm
Our ears, or like a Mercury to charm!
Nature herself was proud of his designs,
And joyed to wear the dressing of his lines!
Which were so richly spun, and woven so fit,
As, since, she will vouchsafe no other wit.
The merry Greek, tart Aristophanes,
Neat Terence, witty Plautus, now not please;
But antiquated and deserted lie,
As they were not of nature’s family.
Yet must I not give nature all; thy art,
My gentle Shakspeare, must enjoy a part.
For though the poet’s matter nature be,
His heart doth give the fashion: and, that he
Who casts to write a living line, must sweat,
(Such as thine are) and strike the second heat
Upon the Muse’s anvil; turn the same,
And himself with it, that he thinks to frame;
Or for the laurel, he may gain a scorn;
For a good poet’s made, as well as born.
And such wert thou! Look how the father’s face
Lives in his issue, even so the race
Of Shakspeare’s mind and manners brightly shines
In his well-turnèd, and true filèd lines;
In each of which he seems to shake a lance,
As brandished at the eyes of ignorance.
Sweet Swan of Avon! what a sight it were
To see thee in our water yet appear,
And make those flights upon the banks of Thames,
That so did take Eliza, and our James!
But stay, I see thee in the hemisphere
Advanced, and made a constellation there!
Shine forth, thou star of poets, and with rage,
Or influence, chide, or cheer the drooping stage,
Which, since thy flight from hence, hath mourned like night,
And despairs day, but for thy volume’s light.
Poem of the week – November 30, 2008
kemp=mag poetry magazine
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A l f r e d J a r r y
(1873-1907)
Le homard et la boîte de corned-beef que portait
le docteur Faustroll en sautoir
Fable
Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d’une carapace dure
Sur laquelle était écrit à l’intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical) ;
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clé destinée à l’ouvrir.
Frappé d’amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s’acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d’or.
Poem of the week
July 6, 2008
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A l f r e d J a r r y
(1873-1907)
La régularité de la châsse
(…)
Pris
Dans l’eau calme de granit gris,
nous voguons sur la lagune dolente.
Notre gondole et ses feux d’or
dort
lente.
(…)
Clair,
un vol d’esprits flotte dans l’air :
corps aériens transparents, blancs linges,
inquiétants regards dardés
des
sphinges.
Et
le criblant d’un jeu de palet,
fins disques, brillez au toit gris des limbes
mornes et des souvenirs feus,
bleus
nimbes…
La
gondole spectre que hala
la mort sous les ponts de pierre en ogive,
illuminant son bord brodé
dé-
rive.
Bardes et cordes
Le roi mort, les vingt et un coups de la bombarde
Tonnent, signal de deuil, place de la Concorde.
Silence, joyeux luth, et viole et guimbarde :
Tendons sur le cercueil la plus macabre corde
Pour accompagner l’hymne éructé par le barde :
Le ciel veut l’oraison funèbre pour exorde.
L’encens vainc le fumet des ortolans que barde
La maritorne, enfant butorde non moins qu’orde.
Aux barrières du Louvre elle dormait, la garde :
Les palais sont de grands ports où la nuit aborde ;
Corse, kamoulcke, kurde, iroquoise et lombarde
Le catafalque est ceint de la jobarde horde.
Sa veille n’eût point fait camuse la camarde :
Il faut qu’un rictus torde et qu’une bouche morde.
La lame ou la dent tranche autant que le plomb arde :
Poudre aux moineaux, canons place de la Concorde.
Arme blême, le dail ne craint point l’espingarde :
Tonne, signal de deuil ; vibre, macabre corde.
Les Suisses du pavé heurtent la hallebarde :
Seigneur, prends le défunt en ta miséricorde.
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