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Emile Verhaeren
La crypte
Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes funestes,
Où la douleur, par des crimes, se définit,
Où chaque dalle, au long du mur, atteste
Qu’un meurtre noir, à toute éternité,
Est broyé là, sous du granit.
Des pleurs y tombent sur les morts ;
Des pleurs sur des corps morts
Et leurs remords,
Y tombent ;
Des coeurs ensanglantés d’amour
Se sont jadis aimés,
Se sont tués, quoique s’aimant toujours,
Et s’entendent, les nuits, et s’entendent, les jours,
Se taire ou s’appeler, parmi ces tombes.
Le vent qui passe et que l’ombre y respire,
Est moite et lourd et vieux de souvenirs ;
On l’écoute, le soir, l’haleine suspendue ;
Et l’on surprend des effluves voler
Et s’attirer et se frôler.
Oh ! ces caves de marbre en sculpture tordues.
La vie, au-delà de la mort encor vivante,
La vie approfondie en épouvante,
Perdure là, si fort,
Qu’on croit sentir, dans les murailles,
Avec de surhumains efforts,
Battre et s’exalter encor
Tous ces coeurs fous, tous ces coeurs morts,
Qui ont vaincu leurs funérailles.
Reposent là des maîtresses de rois
Dont le caprice et le délire
Ont fait se battre des empires ;
Des conquérants, dont les glaives d’effroi
Se brisèrent, entre des doigts de femme ;
Des poètes fervents et clairs
De leur ivresse et de leur flamme,
Qui périrent, en chantant l’air
Triste ou joyeux qu’aimait leur dame.
Voici les ravageurs et les ardents
Dont le baiser masquait le coup de dents ;
Les fous dont le vertige aimait l’abîme
Qui dépeçaient l’amour en y taillant un crime ;
Les violents et les vaincus du sort
Ivres de l’inconnu que leur offrait la mort ;
Enfin, les princesses, les reines,
Mortes – depuis quels temps et sur quels échafauds ? –
Quand le peuple portait des morts, comme drapeaux,
Devant ses pas rués vers la conquête humaine.
Égarons-nous, mon âme, en ces cryptes de deuil,
Où, sous chaque tombeau, où, dans chaque linceul,
On écoute les morts si terriblement vivre.
Leur désespoir superbe et leur douleur enivrent,
Car, au-delà de l’agonie, ils ont planté
Si fortement et si tragiquement leur volonté
Que leur poussière encore est pleine
Des ferments clairs de leur amour et de leur haine.
Leurs passions, bien qu’aujourd’hui sans voix,
S’entremordent, comme autrefois,
Plus féroces depuis qu’elles se sentent
Libres, dans ce palais de la clarté absente.
Regard d’orgueil, regard de proie,
Fondent l’un sur l’autre, sans qu’on les voie,
Pour se percer et s’abîmer, en des ténèbres.
Autour des vieux granits et des pierres célèbres,
Parfois, un remuement de pas guerriers s’entend
Et tel héros debout dans son orgueil, attend
Que, sur son socle orné de combats rouges,
Soudain le bronze et l’or de la bataille bougent.
Tout drame y vit, les yeux hagards, le poing fermé,
Et traîne, à ses côtés, le désespoir armé ;
L’envie et le soupçon aux carrefours s’abouchent ;
Des mots sont étouffés, par des mains, sur des bouches ;
Des bras se nouent et se dénouent, ardents et las ;
Dans l’ombre, on croirait voir luire un assassinat ;
Mille désirs qui se lèvent et qui avortent,
D’un large élan vaincu, battent toujours les portes ;
L’intermittent reflet de vieux flambeaux d’airain
Passe, le long des murs, en gestes surhumains ;
On sent, autour de soi, les passions bandées,
Sur l’arc silencieux des plus sombres idées ;
Tout est muet et tout est haletant ;
La nuit, la fièvre encore augmente et l’on entend
Un bruit pesant sortir de terre
Et se rompre les plombs et se fendre les bières !
Oh, cette vie aiguë et toute en profondeur,
Si ténébreuse et si trouble, qu’elle fait peur !
Cette vie âpre, où les luttes s’accroissent
A force de volonté,
Jusqu’à donner l’éternité
Pour mesure à son angoisse,
Mon coeur, sens-tu, comme elle est effrénée
En son spasme suprême et sa ferveur damnée ?
Soit par pitié, soit parce qu’elle
Concentre, en son ardeur, toute l’âme rebelle,
Incline-toi, vers son mystère et sa terreur,
Ô toi, qui veux la vie à travers tout, mon coeur !
Pèse sa crainte et suppute ses rages
Et son entêtement, en ces conflits d’orages,
Toujours exaspéré, jusqu’au suprême effort ;
Sens les afflux de joie et les reflux de peine
Passer, dans l’atmosphère, et enfiévrer la mort ;
Songe à tous tes amours, songe à toutes tes haines,
Et plonge-toi, sauvage et outrancier,
Comme un rouge faisceau de lances,
En ce terrible et fourmillant brasier
De violence et de silence.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
La morte
En sa robe, couleur de feu et de poison,
Le cadavre de ma raison
Traîne sur la Tamise.
Des ponts de bronze, où les wagons
Entrechoquent d’interminables bruits de gonds
Et des voiles de bâteaux sombres
Laissent sur elle, choir leurs ombres.
Sans qu’une aiguille, à son cadran, ne bouge,
Un grand beffroi masqué de rouge,
La regarde, comme quelqu’un
Immensément de triste et de défunt.
Elle est morte de trop savoir,
De trop vouloir sculpter la cause,
Dans le socle de granit noir,
De chaque être et de chaque chose.
Elle est morte, atrocement,
D’un savant empoisonnement,
Elle est morte aussi d’un délire
Vers un absurde et rouge empire.
Ses nerfs ont éclaté,
Tel soir illuminé de fête,
Qu’elle sentait déjà le triomphe flotter
Comme des aigles, sur sa tête.
Elle est morte n’en pouvant plus,
L’ardeur et les vouloirs moulus,
Et c’est elle qui s’est tuée,
Infiniment exténuée.
Au long des funèbres murailles,
Au long des usines de fer
Dont les marteaux tannent l’éclair,
Elle se traîne aux funérailles.
Ce sont des quais et des casernes,
Des quais toujours et leurs lanternes,
Immobiles et lentes filandières
Des ors obscurs de leurs lumières ;
Ce sont des tristesses de pierres,
Maisons de briques, donjons en noir
Dont les vitres, mornes paupières,
S’ouvrent dans le brouillard du soir ;
Ce sont de grands chantiers d’affolement,
Pleins de barques démantelées
Et de vergues écartelées
Sur un ciel de crucifiement.
En sa robe de joyaux morts, que solennise
L’heure de pourpre à l’horizon,
Le cadavre de ma raison
Traîne sur la Tamise.
Elle s’en va vers les hasards
Au fond de l’ombre et des brouillards,
Au long bruit sourd des tocsins lourds,
Cassant leur aile, au coin des tours.
Derrière elle, laissant inassouvie
La ville immense de la vie ;
Elle s’en va vers l’inconnu noir
Dormir en des tombeaux de soir,
Là-bas, où les vagues lentes et fortes,
Ouvrant leurs trous illimités,
Engloutissent à toute éternité :
Les mortes.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Mourir
Un soir plein de pourpres et de fleuves vermeils
Pourrit, par au-delà des plaines diminuées,
Et fortement, avec les poings de ses nuées,
Sur l’horizon verdâtre, écrase des soleils.
Saison massive! Et comme Octobre, avec paresse
Et nonchaloir, se gonfle et meurt dans ce décor
Pommes ! caillots de feu ; raisins ! chapelets d’or,
Que le doigté tremblant des lumières caresse,
Une dernière fois, avant l’hiver. Le vol
Des grands corbeaux ? il vient. Mais aujourd’hui, c’est l’heure
Encor des feuillaisons de laque – et la meilleure.
Les pousses des fraisiers ensanglantent le sol,
Le bois tend vers le ciel ses mains de feuilles rousses
Et du bronze et du fer sonnent, là-bas, au loin.
Une odeur d’eau se mêle à des senteurs de coing
Et des parfums d’iris à des parfums de mousses.
Et l’étang plane et clair reflète énormément
Entre de fins bouleaux, dont le branchage bouge,
La lune, qui se lève épaisse, immense et rouge,
Et semble un beau fruit mûr, éclos placidement.
Mourir ainsi, mon corps, mourir, serait le rêve!
Sous un suprême afflux de couleurs et de chants,
Avec, dans les regards, des ors et des couchants,
Avec, dans le cerveau, des rivières de sève.
Mourir! comme des fleurs trop énormes, mourir!
Trop massives et trop géantes pour la vie!
La grande mort serait superbement servie
Et notre immense orgueil n’aurait rien à souffrir!
Mourir, mon corps, ainsi que l’automne, mourir!
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Vénus
Vénus,
La joie est morte au jardin de ton corps
Et les grands lys des bras et les glaïeuls des lèvres
Et les grappes de gloire et d’or,
Sur l’espalier mouvant que fut ton corps,
ont morts.
Les cormorans des temps d’octobre ont laissé choir
Plume à plume, leur deuil, au jardin de tes charmes ;
Mélancoliques, les soirs
Ont laissé choir
Leur deuil, sur tes flambeaux et sur tes armes.
Hélas ! Tant d’échos morts et mortes tant de voix !
Au loin, là-bas, sur l’horizon de cendre rouge,
Un Christ élève au ciel ses bras en croix :
Miserere par les grands soirs et les grands bois !
Vénus,
Sois doucement l’ensevelie,
Dans la douceur et la mélancolie
Et dans la mort du jardin clair ;
Mais que dans l’air
Persiste à s’exalter l’odeur immense de ta chair.
Tes yeux étaient dardés, comme des feux d’ardeur,
Vers les étoiles éternelles ;
Et les flammes de tes prunelles
Définissaient l’éternité, par leur splendeur.
Tes mains douces, comme du miel vermeil,
Cueillaient, divinement, sur les branches de l’heure,
Les fruits de la jeunesse à son éveil ;
Ta chevelure était un buisson de soleil ;
Ton torse, avec ses feux de clartés rondes,
Semblait un firmament d’astres puissants et lourds ;
Et quand tes bras serraient, contre ton coeur, l’Amour,
Le rythme de tes seins rythmait l’amour du monde.
Sur l’or des mers, tu te dressais, tel un flambeau.
Tu te donnais à tous comme la terre,
Avec ses fleurs, ses lacs, ses monts, ses renouveaux
Et ses tombeaux.
Mais aujourd’hui que sont venus
D’autres désirs de l’Inconnu,
Sois doucement, Vénus, la triste et la perdue,
Au jardin mort, parmi les bois et les parfums,
Avec, sur ton sommeil, la douceur suspendue
D’une fleur, par l’automne et l’ouragan, tordue.
Tes mains douces, comme du miel vermeil,
Cueillaient, divinement, sur les branches de l’heure,
Les fruits de la jeunesse à son éveil ;
Ta chevelure était un buisson de soleil ;
Ton torse, avec ses feux de clartés rondes,
Semblait un firmament d’astres puissants et lourds ;
Et quand tes bras serraient, contre ton coeur, l’Amour,
Le rythme de tes seins rythmait l’amour du monde.
Sur l’or des mers, tu te dressais, tel un flambeau.
Tu te donnais à tous comme la terre,
Avec ses fleurs, ses lacs, ses monts, ses renouveaux
Et ses tombeaux.
Mais aujourd’hui que sont venus
D’autres désirs de l’Inconnu,
Sois doucement, Vénus, la triste et la perdue,
Au jardin mort, parmi les bois et les parfums,
Avec, sur ton sommeil, la douceur suspendue
D’une fleur, par l’automne et l’ouragan, tordue.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Autour de ma maison
Pour vivre clair, ferme et juste,
Avec mon coeur, j’admire tout
Ce qui vibre, travaille et bout
Dans la tendresse humaine et sur la terre auguste.
L’hiver s’en va et voici mars et puis avril
Et puis le prime été, joyeux et puéril.
Sur la glycine en fleurs que la rosée humecte,
Rouges, verts, bleus, jaunes, bistres, vermeils,
Les mille insectes
Bougent et butinent dans le soleil.
Oh la merveille de leurs ailes qui brillentEmile Verhaeren
Et leur corps fin comme une aiguille
Et leurs pattes et leurs antennes
Et leur toilette quotidienne
Sur un brin d’herbe ou de roseau !
Sont-ils précis, sont-ils agiles !
Leur corselet d’émail fragile
Est plus changeant que les courants de l’eau;
Grâce à mes yeux qui les reflètent
Je les sens vivre et pénétrer en moi
Un peu ;
Oh leurs émeutes et leurs jeux
Et leurs amours et leurs émois
Et leur bataille, autour des grappes violettes !
Mon coeur les suit dans leur essor vers la clarté,
Brins de splendeur, miettes de beauté,
Parcelles d’or et poussière de vie !
J’écarte d’eux l’embûche inassouvie :
La glu, la boue et la poursuite des oiseaux
Pendant des jours entiers, je défends leurs travaux;
Mon art s’éprend de leurs oeuvres parfaites;
Je contemple les riens dont leur maison est faite
Leur geste utile et net, leur vol chercheur et sûr,
Leur voyage dans la lumière ample et sans voile
Et quand ils sont perdus quelque part, dans l’azur,
Je crois qu’ils sont partis se mêler aux étoiles.
Mais voici l’ombre et le soleil sur le jardin
Et des guêpes vibrant là-bas, dans la lumière;
Voici les longs et clairs et sinueux chemins
Bordés de lourds pavots et de roses trémières;
Aujourd’hui même, à l’heure où l’été blond s’épand
Sur les gazons lustrés et les collines fauves,
Chaque pétale est comme une paupière mauve
Que la clarté pénètre et réchauffe en tremblant.
Les moins fiers des pistils, les plus humbles des feuilles
Sont d’un dessin si pur, si ferme et si nerveux
Qu’en eux
Tout se précipite et tout accueille
L’hommage clair et amoureux des yeux.
L’heure des juillets roux s’est à son tour enfuie,
Et maintenant
Voici le soleil calme avec la douce pluie
Qui, mollement,
Sans lacérer les fleurs admirables, les touchent;
Comme eux, sans les cueillir, approchons-en nos bouches
Et que notre coeur croie, en baisant leur beauté
Faite de tant de joie et de tant de mystère,
Baiser, avec ferveur, délice et volupté,
Les lèvres mêmes de la terre.
Les insectes, les fleurs, les feuilles, les rameaux
Tressent leur vie enveloppante et minuscule
Dans mon village, autour des prés et des closeaux.
Ma petite maison est prise en leurs réseaux.
Souvent, l’après-midi, avant le crépuscule,
De fenêtre en fenêtre, au long du pignon droit,
Ils s’agitent et bruissent jusqu’à mon toit;
Souvent aussi, quand l’astre aux Occidents recule,
J’entends si fort leur fièvre et leur émoi
Que je me sens vivre, avec mon coeur,
Comme au centre de leur ardeur.
Alors les tendres fleurs et les insectes frêles
M’enveloppent comme un million d’ailes
Faites de vent, de pluie et de clarté.
Ma maison semble un nid doucement convoité
Par tout ce qui remue et vit dans la lumière.
J’admire immensément la nature plénière
Depuis l’arbuste nain jusqu’au géant soleil
Un pétale, un pistil, un grain de blé vermeil
Est pris, avec respect, entre mes doigts qui l’aiment;
Je ne distingue plus le monde de moi-même,
Je suis l’ample feuillage et les rameaux flottants,
Je suis le sol dont je foule les cailloux pâles
Et l’herbe des fossés où soudain je m’affale
Ivre et fervent, hagard, heureux et sanglotant.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
Autour de ma maison
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Emile Verhaeren
Chanson de fou (3)
Brisez-leur pattes et vertèbres,
Chassez les rats, les rats.
Et puis versez du froment noir,
Le soir,
Dans les ténèbres.
Jadis, lorsque mon coeur cassa,
Une femme le ramassa
Pour le donner aux rats.
– Brisez-leur pattes et vertèbres.
Souvent je les ai vus dans l’âtre,
Taches d’encre parmi le plâtre,
Qui grignotaient ma mort.
– Brisez-leur pattes et vertèbres.
L’un d’eux, je l’ai senti
Grimper sur moi la nuit,
Et mordre encor le fond du trou
Que fit, dans ma poitrine,
L’arrachement de mon coeur fou.
– Brisez-leur pattes et vertèbres.
Ma tête à moi les vents y passent,
Les vents qui passent sous la porte,
Et les rats noirs de haut en bas
Peuplent ma tête morte.
– Brisez-leur pattes et vertèbres.
Car personne ne sait plus rien.
Et qu’importent le mal, le bien,
Les rats, les rats sont là, par tas,
Dites, verserez-vous, ce soir,
Le froment noir,
A pleines mains, dans les ténèbres ?
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Chanson de fou (2)
Je les ai vus, je les ai vus,
Ils passaient, par les sentes,
Avec leurs yeux, comme des fentes,
Et leurs barbes, comme du chanvre.
Deux bras de paille,
Un dos de foin,
Blessés, troués, disjoints,
Ils s’en venaient des loins,
Comme d’une bataille.
Un chapeau mou sur leur oreille,
Un habit vert comme l’oseille ;
Ils étaient deux, ils étaient trois,
J’en ai vu dix, qui revenaient du bois.
L’un d’eux a pris mon âme
Et mon âme comme une cloche
Vibre en sa poche.
L’autre a pris ma peau
– Ne le dites à personne –
Ma peau de vieux tambour
Qui sonne.
Un paysan est survenu
Qui nous piqua dans le sol nu,
Eux tous et moi, vieilles défroques,
Dont les enfants se moquent.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Chanson de fou (1)
Le crapaud noir sur le sol blanc
Me fixe indubitablement
Avec des yeux plus grands que n’est grande sa tête ;
Ce sont les yeux qu’on m’a volés
Quand mes regards s’en sont allés,
Un soir, que je tournai la tête.
Mon frère ? – il est quelqu’un qui ment,
Avec de la farine entre ses dents ;
C’est lui, jambes et bras en croix,
Qui tourne au loin, là-bas,
Qui tourne au vent,
Sur ce moulin de bois.
Et Celui-ci, c’est mon cousin
Qui fut curé et but si fort du vin
Que le soleil en devint rouge ;
J’ai su qu’il habitait un bouge,
Avec des morts, dans ses armoires.
Car nous avons pour génitoires
Deux cailloux
Et pour monnaie un sac de poux,
Nous, les trois fous,
Qui épousons, au clair de lune,
Trois folles dames, sur la dune.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
L’âge est venu, pas à pas, jour à jour
L’âge est venu, pas à pas, jour à jour,
Poser ses mains sur le front nu de notre amour
Et, de ses yeux moins vifs, l’a regardé.
Et, dans le beau jardin que Juillet a ridé,
Les fleurs, les bosquets et les feuilles vivantes
Ont laissé choir un peu de leur force fervente
Sur l’étang pâle et sur les chemins doux.
Parfois, le soleil marque, âpre et jaloux,
Une ombre dure, autour de sa lumière.
Pourtant, voici toujours les floraisons trémières
Qui persistent à se darder vers leur splendeur,
Et les saisons ont beau peser sur notre vie,
Toutes les racines de nos deux coeurs
Plus que jamais plongent inassouvies,
Et se crispent et s’enfoncent, dans le bonheur.
Oh ! ces heures d’après-midi ceintes de roses
Qui s’enlacent autour du temps et se reposent
La joue en fleur et feu, contre son flanc transi !
Et rien, rien n’est meilleur que se sentir ainsi,
Heureux et clairs encor, après combien d’années !
Mais si tout autre avait été la destinée
Et que, tous deux, nous eussions dû souffrir,
– Quand même ! – oh ! j’eusse aimé vivré et mourir,
Sans me plaindre, d’une amour obstinée.
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Emile Verhaeren
Fleur fatale
L’absurdité grandit comme une fleur fatale
Dans le terreau des sens, des coeurs et des cerveaux ;
En vain tonnent, là-bas, les prodiges nouveaux ;
Nous, nous restons croupir dans la raison natale.
Je veux marcher vers la folie et ses soleils,
Ses blancs soleils de lune au grand midi, bizarres,
Et ses échos lointains, mordus de tintamarres
Et d’aboiements et pleins de chiens vermeils.
Iles en fleurs, sur un lac de neige ; nuage
Où nichent des oiseaux sous les plumes du vent ;
Grottes de soir, avec un crapaud d’or devant,
Et qui ne bouge et mange un coin du paysage.
Becs de hérons, énormément ouverts pour rien,
Mouche, dans un rayon, qui s’agite, immobile
L’insconscience douce et le tic-tac débile
De la tranquille mort des fous, je l’entends bien !
Emile Verhaeren (1855-1916) poésie
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Hans Vlek
(Amsterdam 1947 – Den Bosch 2016) was een Nederlands dichter.
In 1968 ontving hij zowel de Reina Prinsen Geerligsprijs als de Jan Campert-prijs voor zijn bundel Een warm hemd voor de winter. Vlek woonde enige tijd in Marokko en in Granada wonen. Later zou hij worden opgenomen in een psychiatrisch verpleegtehuis in Den Bosch waar hij op 15 juli 2016 overleed.
Bibliografie Hans Vlek
• 1965 · Anatomie voor moordenaars
• 1966 · Iets eetbaars
• 1968 · Een warm hemd voor de winter
• 1970 · Voor de bakker
• 1970 · Zwart op wit
• 1979 · De toren van Babbel
• 1980 · Geen volkse god in uw achtertuin
• 1980 · Onnette sonnetten
• 1986 · De goddelijke gekte
• 1987 · Boghazkøy
• 1991 · De kylix van liber
• 1994 · Hangmat voor Henoch
• 1996 · Hunnenhekel, of: Nieuwe schedeflora
15-07-2016
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More in: Archive U-V, Art & Literature News, In Memoriam
Paul Valéry
(1871-1945)
Profusion Du Soir
Poème Abandonné . . .
Du soleil soutenant la puissante paresse
Qui plane et s’abandonne à l’oeil contemplateur,
Regard!… Je bois le vin céleste, et je caresse
Le grain mystéri-eux de l’extrême hauteur.
Je porte au sein brûlant ma lucide tendresse,
Je joue avec les feux de l’antique inventeur;
Mais le dieu par degrés qui se désintéresse
Dans la pourpre de l’air s’altère avc lenteur.
Laissant dans les champs purs battre toute l’idée,
Les travaux du couchant dans la sphère vidée
Connaissent sans oiseaux leur ancienne grandeur.
L’ange frais de l’oeil nu pressent dans sa pudeur,
Haute nativité d’étoile élucidée,
Un diamant agir qui berce la splendeur…
*
Ô soir, tu viens épandre un délice tranquille,
Horizon des sommeils, stupeur des coeurs pieux,
Persuasive approche, insidieux reptile,
Et rose que respire un mortel immobile
Dont l’oeil dore s’engage aux promesses des cieux.
*
Sur tes ardents autels son regard favorable
Brûle, l’âme distraite, un passé précieux.
Il adore dans l’or qui se rend adorable
Bâtir d’une vapeur un temple mémorable,
Suspendre au sombre éther son risque et son récif,
Et vole, ivre des feux d’un triomphe passif,
Sur l’abime aux ponts d’or rejoindre la Fortune;
-Tandis qu’aux bords lointains du Théâtre pensif,
Sous un masque léger glisse la mince lune…
*
… Ce vin bu, l’homme bâille, et brise le flacon.
Aux merveilles du vide il garde une rancune;
Mais le charme du soir fume sur le balcon
Une confusion de femme et de flocon…
*
-Ô Conseil!… Station solennelle!… Balance
D’un doigt doré pesant les motifs du silence!
Ô sagesse sensible entre les dieux ardents!
-De l’espace trop beau, préserve-moi, balustre!
Là, m’appelle la mer!… Là, se penche l’illustre
Vénus Vertigineuse avec ses bras fondants!
*
Mon oeil, quoiqu’il s’attache au sort souple des ondes,
Et boive comme en songe à l’éternel verseau,
Garde une chambre fixe et capable des mondes;
Et ma cupidité des surprises profondes
Voit à peine au travers du transparent berceau
Cette femme d’écume et d’algue et d’or que roule
Sur le sable et le sel la meule de la houle.
*
Pourtant je place aux cieux les ébats d’un esprit;
Je vois dans leurs vapeurs des terres inconnues,
Des deesses de fleurs feindre d’être des nues,
Des puissances d’orage d’errer a demi nues,
Et sur les roches d’air du soir qui s’assombrit,
Telle divinité s’accoude. Un ange nage.
Il restaure l’espace à chaque tour de rein.
Moi, qui j’ette ici-bas l’ombre d’un personnage,
Toutefois délié dans le plein souverain,
Je me sens qui me trempe, et pur qui me dédaigne!
Vivant au sein futur le souvenir marin,
Tout le corps de mon choix dans mes regards se baigne!
*
Une crête écumeuse, énorme et colorée,
Barre, puissamment pure, et plisse le parvis.
Roule jusqu’à mon coeur la distance doree,
Vague!… Croulants soleils aux horizons ravis,
Tu n’iras pas plus loin que la ligne ignorée
Qui divise les dieux des ombres où je vis.
*
Une volute lente et longue d’une lieue
Semant les charmes lourds de sa blanche torpeur
Où se joue une joie, une soif d’être bleue,
Tire le noir navire épuisé de vapeur…
*
Mais pesants et neigeux les monts du crépuscule,
Les nuages trop pleins et leurs seins copieux,
Toute la majesté de l’Olympe recule,
Car voici le signal, voici l’or des adieux,
Et l’espace a humé la barque minuscule…
*
Lourds frontons du sommeil toujours inachevés,
Rideaux bizarrement d’un rubis relevés
Pour le mauvais regard d’une sombre planète,
Les temps sont accomplis, les desirs se sont tus,
Et dans la bouche d’or, bâillements combattus,
S’écartèlent les mots que charmait le poète…
Les temps sont accomplis, les desirs se sont tus.
*
Adieu, Adieu!… Vers vous, ô mes belles images,
Mes bras tendent toujours insatiable port!
Venez, effarouchés, hérissant vos plumages,
Voiliers aventureux que talonne la mort!
Hâtez-vous, hâtez-vous!… La nuit presse!… Tantale
Va périr! Et la joie éphémère des cieux!
Une rose naguère aux ténèbres fatale,
Une toute dernière rose occidentale
Pâlit affreusement sur le soir spacieux…
Je ne vois plus frémir au mât du belvédère
Ivre de brise un sylphe aux couleurs de drapeau,
Et ce grand port n’est plus qu’un noir débarcadère
Couru du vent glacé que sent venir ma peau!
Fermez-vous! Fermez-vous! Fenêtres offensées!
Grands yeux qui redoutez la véritable nuit!
Et toi, de ces hauteurs d’astres ensemencées,
Accepte, fécondé de mystère et d’ennui,
Une maternité muette de pensées…
Paul Valéry poetry
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