Alfred Jarry: Mon père a fait faire un étang
Alfred Jarry
(1873-1907)
Fable
Une boîte de corned-beef, enchaînée comme une lorgnette,
Vit passer un homard qui lui ressemblait fraternellement.
Il se cuirassait d’une carapace dure
Sur laquelle était écrit à l’intérieur, comme elle, il était sans arêtes,
(Boneless and economical);
Et sous sa queue repliée
Il cachait vraisemblablement une clef destinée à l’ouvrir.
Frappé d’amour, le corned-beef sédentaire
Déclara à la petite boîte automobile de conserves vivante
Que si elle consentait à s’acclimater,
Près de lui, aux devantures terrestres,
Elle serait décorée de plusieurs médailles d’or.
Je ne sais pas
Je ne sais pas si mon frère m’oublie
Mais je me sens tout seul, immensément,
Avec loin la chère tête apalie
Dans les essais d’un souvenir qui ment.
J’ai son portrait devant moi sur la table,
Je ne sais pas s’il était laid ou beau.
Le Double est vide et vain comme un tombeau.
J’ai perdu sa voix, sa voix adorable,
Juste et qui semble faite fausse exprès.
Peut-être il l’ignore, trésor posthume.
Hors de la lettre elle s’évoque, très
Soudain cassée et caressante plume.
Mon père a fait faire un étang
Mon père a fait faire un étang,
C’est le vent qui va frivolant,
Il est petit, il n’est pas grand,
C’est le vent qui vole, qui frivole,
C’est le vent qui va frivolant.
Il est petit, il n’est pas grand,
Trois canards blancs s’y vont baignant.
Trois canards blancs s’y vont baignant,
Le fils du roi les va chassant.
Le fils du roi les va chassant
Avec un p’tit fusil d’argent.
Avec un p’tit fusil d’argent
Tira sur celui de devant.
Tira sur celui de devant,
Visa le noir, tua le blanc.
Visa le noir, tua le blanc,
Ô fils du roi, qu’tu es méchant.
Ô fils du roi qu’tu es méchant,
D’avoir tué mon canard blanc,
D’avoir tué mon canard blanc,
Après la plume vint le sang,
Après la plume vint le sang,
Après le sang l’or et l’argent.
Après le sang l’or et l’argent,
C’est le vent qui va frivolant,
Après le sang, l’or et l’argent,
C’est le vent qui vole, qui frivole,
C’est le vent qui va frivolant.
Roses
Roses de feu, blanches d’effroi,
Les trois Filles sur le mur froid
Regardent luire les grimoires…
Roses de feu, blanches d’effroi,
En longues chemises de cygnes,
Les trois Filles sur le mur froid,
Regardant grimacer les signes,
Ouvrent, les bras d’effroi liés,
Leurs yeux comme des boucliers.
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