Marcel Schwob: Chez Le Mastroquet (Poème)
Chez Le Mastroquet
Boutique sang de boeuf jusqu’au premier étage.
A travers le treillis défoncé du grillage
Des carreaux maculés. -Deux rideaux mal blanchis
Frôlant le crépi mort de leurs plis avachis.
Trois melons étalés en pleine devanture,
Près de beignets dorés dans un bain de friture.
Des raviers blancs suant du jus noir de pruneaux.
L’or fameux des harengs baisant de vieux cerneaux.
La trogne enluminée, à la rondeur bonasse,
Du patron ballonné jusqu’au cou de vinasse
Met une tache rouge au milieu du comptoir.
Quelques bouchers sanglants sortis de l’abattoir,
Coiffés d’une viscope à tournure de mitre,
Avalent sur le zing le vin bleuté d’un litre
Et puisent, pour se mettre en goût, au tas d’oeufs durs.
Contre le fond graisseux et charbonné des murs,
Une vieille qui dort laisse pendre sa lippe:
Un limousin plâtré crache en fumant sa pipe.
Marcel Schwob
(1867-1905)
Chez Le Mastroquet
Juin 1888
•fleursdumal.nl magazine
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