Tristan Corbière: A une camarade
Tristan Corbière
(1845-1875)
A une camarade
Que me veux-tu donc, femme trois fois fille ?…
oi qui te croyais un si bon enfant !
– De l’amour?… – Allons : cherche, apporte, pille !
‘aimer aussi, toi ! .., moi qui t’aimais tant.
Oh ! je t’aimais comme.. un lézard qui pèle
Aime le rayon qui cuit son sommeil…
L’Amour entre nous vient battre de l’aile :
– Eh ! qu’il s’ôte de devant mon soleil !
on amour, à moi, n’aime pas qu’on l’aime ;
endiant, il a peur d’être écouté…
C’est un lazzarone enfin, un bohème,
Déjeunant de jeûne et de liberté.
– Curiosité, bibelot, bricole ?…
C’est possible : il est rare – et c’est son bien –
ais un bibelot cassé se recolle ;
Et lui, décollé, ne vaudra plus rien ! …
Va, n’enfonçons pas la porte entr’ouverte
Sur un paradis déjà trop rendu !
Et gardons à la pomme, jadis verte,
Sa peau, sous son fard de fruit défendu.
Que nous sommes-nous donc fait l’un à l’autre ?…
– Rien… – Peut-être alors que c’est pour cela ;
– Quel a commencé? – Pas moi, bon apôtre !
Après, quel dira : c’est donc tout – voilà !
– Tous les deux, sans doute… – Et toi, sois bien sûre
Que c’est encor moi le plus attrapé :
Car si, par erreur, ou par aventure,
Tu ne me trompais.., je serais trompé !
Appelons cela : l’amitié calmée ;
Puisque l’amour veut mettre son holà.
N’y croyons pas trop, chère mal-aimée…
– C’est toujours trop vrai ces mensonges-là ! –
Nous pourrons, au moins, ne pas nous maudire
– Si ça t’est égal – le quart-d’heure après.
Si nous en mourons – ce sera de rire…
oi qui l’aimais tant ton rire si frais !
Tristan Corbière poetry
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