Marcel Schwob: L’ombre visqueuse emplit… (Poème)
L’ombre visqueuse emplit…
L’ombre visqueuse emplit jusqu’au fond la chambrée,
Des moucherons gluants couvrent la planche à pain.
Deux soldats ronflent sous leur couverte cabrée:
C’est un bleu de tringlot avec son vieux copain.
Le long de la muraille écailleuse et sabrée
Par de grands crachats noirs, tourbillonne un lopin
De mouchoir instructif, à la teinte marbrée,
Coiffant le shako neuf d’oreilles de lapin.
Le brigadier, entrant, heurte, sous ses semelles,
La carcasse sonore et vide des gamelles:
Les hommes réveillés murmurent dans leur lit.
Il tâte de ses mains le bât-flanc et se couche
Puis dort, de-ci de-là, comme une souche,
Et sous son corps pesant fait craquer le châlit.
Marcel Schwob
(1867-1905)
L’ombre visqueuse emplit…
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