Marcel Schwob: Le Lac Des Sylphes (Poème)
Le Lac Des Sylphes
Les sylphes ont un lac aux vagues cristallines
Où les brumes ont couleur d’or,
Où les nénuphars ont des teintes opalines
Sur l’onde qui dort.
Où les fleurs ont d’étranges lueurs irisées
Et des pistils phosphorescents,
Leurs pétales d’argent, leurs corolles frisées
En plis indécents;
La lune s’y reflète en miroitements jaunes
Ruisselant sur l’ombre des eaux
Et sautant, feux follets, des saules et des aunes
Aux sombres roseaux.
Dans les brouillards laiteux, des formes vaporeuses
Vont glissant et disparaissant,
Plongeant sous l’eau limpide et s’enfuyant, peureuses,
Aux souffles naissants.
Là-bas, le long de l’eau, sous les arbres des rives,
On entend piauler les oiseaux;
Parfois, dans le feuillage, on voit passer, furtives,
Les nymphes des eaux.
Sur la rivière
Légère
La barque passe
Et repasse
Sur l’eau.
Sylphe ou lutine
Butine
Aux fleurs flottantes
Et riantes
Dans l’eau.
Elle s’envole
Frivole
Toute pareille
A l’abeille
Sur l’eau.
Elle balance,
Et danse,
Sur l’herbe trotte
Et barbote
Dans l’eau.
Sur la rivière
Légère
La barque passe
Et repasse
Sur l’eau.
Et la barque s’arrête à ces rives, et longe
Leurs filets de mousse traînants.
Mais la troupe des sylphes s’enfuit et replonge
A nos cris gênants.
Marcel Schwob
(1867-1905)
Le Lac Des Sylphes
Mars 1885
Portrait: Félix Vallotton
• fleursdumal.nl magazine
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