Emilienne d’Alençon: Le Balcon
Le Balcon
Au balcon de l’hôtel, nous étions accoudées.
Et nous avions au coeur, un tel recueillement
Que la nuit et la mer, à nos pieds déployées,
Semblaient venir à nous, silencieusement.
Le ciel était si proche, au fond de l’ombre immense,
Que nos gestes semblaient atteindre l’horizon,
Les vagues se taisaient et, dans le grand silence,
Tout ce que vous disiez prenait un sens très profond.
Et voici que soudain, des voix mystérieuses
Se mirent à chanter sur la mer, devant nous,
Et les unes étaient tendres et douloureuses,
Et d’autres résonnaient comme un rire très doux.
Les voix disaient le charme et la mélancolie
De la belle rencontre et du divin hasard,
Les voix disaient l’histoire obscure de la vie,
L’angoisse des adieux, les larmes du départ.
Ah! qui saura jamais, pourquoi sous ces étoiles,
Les être dans le soir, se seront pris la main,
Au lieu de s’en aller, comme s’en vont les voiles,
Sur les flots, vers des cieux différents et lointains.
J’ai senti contre moi, votre épaule plus chaude,
Le ciel, en pâlissant, faisait vos yeux plus clairs,
Et des parfums marins de sable, d’algue et d’iode,
Se mêlaient aux parfums qu’exhalait votre chair
Emilienne d’Alençon
(1869-1946)
Le Balcon
Août 1917
• fleursdumal.nl magazine
More in: Archive A-B, Archive A-B, d'Alençon, Émilienne