Jean-Joseph Rabearivelo: Le bien vieux
Le bien vieux
J’avais bien vu des vieux et des vieux
avant de placer mes deux mains
dans celles de celui qui sait lire le Sort
dans les paumes,
avant de les lui offrir
pour qu’il y cherchât les monts et les plaines
cultivés par mon étoile.
J’avais vu des vieux et des vieux,
mais pas un comme celui-là.
La nuit de ses cheveux d’antan
était remplacée par la pleine lune
de sa calvitie,
entourée d’un mince buisson blanc ;
et sa bouche qui ne savait plus parler
qu’aux ancêtres qui l’attendaient,
balbutiait comme celle d’un enfant,
bien qu’elle révélât l’Inconnu.
Que pouvaient encore voir ses yeux lourds
des jours vécus ?
Captive y était sa jeunesse !
Captive sans espoir d’évasion !
Et quand il me regarda, quand il explora
les monts et les plaines
dans le creux de mes mains,
quand son regard éteint croisa le mien
et y devina une flamme pacifique,
je crois encore que sa jeunesse s’y débattait,
s’y débattait en pure perte !
Mais non ! la captive put briser ses liens
et fut délivrée :
elle était réincarnée dans la mienne,
selon la croyance du bien vieux
qui se mirait en moi.
Jean-Joseph Rabearivelo
(1901? 1903? – 1937)
Le bien vieux (poème)
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