Aloysius Bertrand: Les gueux de nuit
Aloysius Bertrand
(1807-1841)
Les gueux de nuit
– Ohé ! rangez-vous qu’on se chauffe ! – Il ne te manque
plus que d’enfourcher le foyer ! Ce drôle a les jambes
comme des pincettes.
– Une heure ! – Il bise dru ! – Savez-vous, mes chats-
huants, ce qui a fait la lune si claire ? – Non ! – Les
cornes de cocu qu’on y brûle.
– La rouge braise à griller de la charbonnée ! – Comme la
flamme danse bleue sur les tisons ! Ohé ! quel est le
ribaud qui a battu sa ribaude ?
– J’ai le nez gelé ! – J’ai les grêves rôties ! – Ne
vois-tu rien dans le feu, Choupille ? – Oui ! une halle-
barde. – Et toi, Jeanpoil ? – Un oeil.
– Place, place à monsieur de La Chousserie ! – Vous êtes
là, monsieur le procureur, chaudement fourré et ganté
pour l’hiver ! – Oui-dà ! les matous n’ont pas d’engelures !
– Ah ! voici messieurs du guet ! – Vos bottes fument.
– Et les tirelaines ? – Nous en avons tué deux d’une arque-
busade, les autres se sont échappés à travers la rivière.
*
Et c’est ainsi que s’acoquinaient à un feu de brandons,
avec des gueux de nuit, un procureur au parlement qui
courait le guilledou et les gascons du guet qui racontaient
sans rire les exploits de leurs arquebuses détraquées.
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