PAUL VALÉRIE: POÉSIE
Paul Valéry
(1871-1945)
Poésie
Par la surprise saisie,
Une bouche qui buvait
Au sein de la Poésie
En sépare son duvet:
-Ô ma mère Intelligence,
De qui la douceur coulait
Quelle est cette négligence
Qui laisse tarir son lait?
À peine sur ta poitrine,
Accablé de blancs liens,
Me berçait l’onde marine
De ton coeur chargé de biens;
À peine, dans ton ciel sombre,
Abattu sur ta beauté,
Je sentais, à boire l’ombre,
M’envahir une clarté!
Dieu perdu dans son essence,
Et délicieusement
Docile à la connaissance
Du suprême apaisement,
Je touchais à la nuit pure,
Je ne savais plus mourir,
Car un fleuve sans coupure
Me semblait me parcourir…
Dis, par quelle crainte vaine,
Par quelle ombre de dépit,
Cette merveilleuse veine
À mes lèvres se rompit?
Ô rigueur, tu m’es un signe
Qu’à mon âme je déplus!
Le silence au vol de cygne
Entre nous ne règne plus!
Immortelle, ta paupière
Me refuse mes trésors,
Et la chair s’est faite pierre
Qui fut tendre sous mon corps!
Des cieux même tu me sèvres,
Par quel injuste retour?
Que seras-tu sans mes lèvres?
Que serai-je sans amour?
Mais la Source suspendue
Lui répond sans dureté:
-Si fort vous m’avez mordue
Que mon coeur s’est arrêté!
Paul Valéry poetry
fleursdumal.nl magazine
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