Jean-Joseph Rabearivelo: Le vent
Le vent
Force la grotte où marche le vent,
source du parfum de l’aurore
qu’il verse au seuil vespéral,
et de la jeunesse des futaies lointaines
qu’il cache dans la tendresse des herbes,
et de la splendeur du soleil moribond
qu’il ressuscite sur les collines prolongées.
Vois-le en songe quand il commence à poindre
et s’apprête à se ramifier comme une liane vivante ;
attends sur les rives des visions :
à peine éclos, il apprend à voler
puis déploie ses ailes comme un oiseau sauvage
et vient s’égarer dans les vergers
où il saccage fleurs et fruits.
Quelle liane, et d’où surgie ?
La voici qui enlace tous les arbres :
depuis les jamrosas parfumés,
qui forment un buisson dans l’Est,
jusqu’à la voûte des bougainvillées
et l’élan des dragonniers qui ondulent
sur les terrasses d’Iarive ;
depuis les mille cœurs des rosiers
qui s’offrent au sommet des tiges vertes,
et les gargoulettes des lys qui ne se s’ouvrent pas
pour pouvoir recueillir la rosée des crépuscules,
jusqu’à ces autres plantes sans nombre
dont on ignore encore le vrai nom
et que seuls vous connaissez, ô mes songes.
Oui, jusqu’à ces cheveux qui tremblotent
aux tempes de la vieille femme :
dernières fleurs de ses jours perdus
qui mendient un baiser au bord de la tombe –
et jusqu’au lambe que la femme-enfant
laisse traîner un peu en souriant
et qu’elle agite dans le brouillard !
– Et cet oiseau que tu ne vois pas
mais qui te frappe le front
et qui picore dans tes épaules
et griffe jusqu’à ta nuque :
quel oiseau est-il, l’oiseau du vent,
cet oiseau ivre qui titube
comme une roussette aux ailes déchirées ?
– Légendes et légendes, fables et fables…
Innombrables sont les légendes
qui peuvent forcer la grotte
où a poussé cette liane vivante
qui vient enlacer tous les arbres ;
innombrables, les fables qui entourent
l’éclosion de cet oiseau immatériel
qui tombe puis reprend son vol ;
mais il en est deux autres qui
me paraissent neuves
et que je n’ai connues que ces jours-ci :
tournoyait derrière ma porte
le vent humide de l’hiver,
tournoyait comme nos enfants
qui se cherchent et se cachent
quand s’illumine l’automne ;
tournoyait avec violence
comme un sanglier poursuivi,
ou un bœuf sauvage :
– D’où peut-il venir si ce n’est
des forêts ou du désert ?
disais-je. Puis,
lointaine et presque inaudible,
plus rien qu’une rumeur comme
en cèlent les coquillages :
– Il vient de l’océan, disais-je, le vent…
Jean-Joseph Rabearivelo
(1901? 1903? – 1937)
Le vent (poème)
• fleursdumal.nl magazine
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