Jean-Joseph Rabearivelo: Fièvre des îles
Fièvre des îles
Le soleil s’est-il brisé sur ta tête
pour que tu sentes ses éclats s’enfoncer
dans l’arbre qui soutient ton dos,
puis vriller à sec dans les branches de ton corps ?
Ton crâne est un énorme fruit vert que mûrit
la canicule de tous les Tropiques –
de tous les Tropiques, mais sans la fraîcheur
de leurs palmiers ni de leur brise marine!
Ta gorge est sèche, tes yeux s’enflamment ;
et voici que tu vois, au-delà de ce que voient les hommes,
tous les Tropiques:
voici des makis parés comme des mariés;
leurs quatre mains sont chargées de régimes de bananes,
et chargées de fleurs jamais vues par ceux qui ne sont pas
des gens de forêts;
et, parmi leur voix heureuse de se baigner au soleil,
voici tout le tumulte des cascades.
Mais, simultanément,
est-ce la glace de la terre qui t’appelle
qui déjà t’enveloppe tout entier,
pour que tu sentes ce frisson à travers tout ton être,
et pour que tu sembles vouloir te cacher sous
les nuages du ciel,
et sous toutes les feuilles des sylves insulaires,
et sous toutes leurs lourdes brumes,
et sous les dernières pluies au parfum de lait brûlé.
Scelle fortement tes lèvres afin que n’en sorte
aucune des choses que tu vois,
mais que ne voient pas les autres !
Que te berce cet écho qui s’amplifie
dans tes oreilles,
lesquelles sont devenues deux coquillages jumeaux
où palpite la mer qui t’entoure,
ô jeune enfant des îles!
Jean-Joseph Rabearivelo
(1901? 1903? – 1937)
Fièvre des îles (poème)
• fleursdumal.nl magazine
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