J.-K. Huysmans: 12 – L’Extase (Le Drageoir aux épices)
Joris-Karl Huysmans
(1849-1907)
Le Drageoir aux épices (1874)
XII. L’Extase
La nuit était venue, la lune émergeait de l’horizon, étalant sur le pavé bleu du ciel sa robe couleur soufre.
J’étais assis près de ma bien-aimée, oh! bien près! Je serrais ses mains, j’aspirais la tiède senteur de son cou, le souffle enivrant de sa bouche, je me serrais contre son épaule, j’avais envie de pleurer; l’extase me tenait palpitant, éperdu, mon âme volait à tire d’aile sur la mer de l’infini.
Tout à coup elle se leva, dégagea sa main, disparut dans la charmoie, et j’entendis comme un crépitement de pluie dans la feuillée.
Le rêve délicieux s’évanouit… je retombais sur la terre, sur l’ignoble terre. O mon Dieu! c’était donc vrai, elle, la divine aimée, elle était, comme les autres, l’esclave de vulgaires besoins!
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