Aloysius Bertrand: 2 Poèmes
Aloysius Bertrand
(1807-1841)
2 P o è m e s
Départ pour le sabbat
Ils étaient là une douzaine qui mangeaient la soupe
à la bière, et chacun d’eux avait pour cuillère l’os
de l’avant-bras d’un mort.
La cheminée était rouge de braise, les chandelles
champignonnaient dans la fumée, et les assiettes
exhalaient une odeur de fosse au printemps.
Et lorsque Maribas riait ou pleurait, on entendait
comme geindre un archet sur les trois cordes d’un
violon démantibulé.
Cependant le soudard étala diaboliquement sur la table,
à la lueur du suif, un grimoire où vint s’abattre une
mouche grillée.
Cette mouche bourdonnait encore lorsque de son ventre
énorme et velu une araignée escalada les bords du magi-
que volume.
Mais déjà sorciers et sorcières s’étaient envolés par
la cheminée, à califourchon qui sur le balai, qui sur
les pincettes, et Maribas sur la queue de la poêle.
Encore un printemps
Encore un printemps, – encore une goutte de rosée, qui
se bercera un moment dans mon calice amer, et qui s’en
échappera comme une larme !
Ô ma jeunesse, tes joies ont été glacées par les baisers
du temps, mais tes douleurs ont survécu au temps qu’elles
ont étouffé sur leur sein.
Et vous qui avez parfilé la soie de ma vie, ô femmes !
s’il y a eu dans mon roman d’amour quelqu’un de trompeur,
ce n’est pas moi, quelqu’un de trompé, ce n’est pas vous !
Ô printemps ! petit oiseau de passage, notre hôte d’une
saison qui chante mélancoliquement dans le coeur du poète
et dans la ramée du chêne !
Encore un printemps, – encore un rayon du soleil de mai
au front du jeune poète, parmi le monde, au front du
vieux chêne, parmi les bois !
Aloysius Bertrend poetry
kempis poetry magazine – kemp=mag
More in: Bertrand, Aloysius