Jean-Joseph Rabearivelo: Images lunaires
Images lunaires
Clair de lune, clair de lune – et après ?
Ne bois pas trop le lait qui fuit
du pis de cette chienne sauvage et borgne
qui aboie dans les ruines du ciel
comme pour appeler du fond du désert de la nuit
son innombrable progéniture
dont s’ouvrent les yeux en myriades d’étoiles.
Clair de lune, clair de lune – et après ?
Le vent lui-même est laiteux
qui ébranle les ombres sculptées
sur le sol
et augmente le nombre des âmes
visibles de toutes les choses
qui semblent fuir l’aboiement silencieux
mais résonnant partout.
Clair de lune, clair de lune – et après ?
Vois-tu ces oiseaux pacifiques
qui grandissent au cœur du paysage fantomatique ?
Ils paissent l’ombre,
ils picorent la nuit.
De quoi donc leur jabot sera-t-il rempli
lorsque deviendront des chants dans le leur
les épis de riz et de maïs
ravis par les coqs ?
Clair de lune, clair de lune – et après ?
Moi, je ne suis plus assez jeune
pour chercher une sœur lunaire dehors
après les rondes enfantines :
je tiendrai mes enfants dans mes bras jusqu’à ce qu’ils
[s’endorment,
et il est des livres que je lirai avec ma femme
jusqu’à ce que la lune change
et devienne pour nous elle-même
en l’attente de l’aube
qui nous surprendra aux rives du sommeil.
Jean-Joseph Rabearivelo
(1901? 1903? – 1937)
Images lunaires (poème)
•fleursdumal.nl magazine
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