Mireille Havet: À un très petit enfant
Mireille Havet
(1898-1932)
À un très petit enfant
Pendant la Guerre
Le vent qui souffle ! Tu ne t’en occupes pas.
La guerre qui souffle ! Tu ne t’en occupes pas.
Peu à peu tu apprendras
que sur la terre il y a des orages
et la pluie drue pendant des jours.
Peu à peu tu apprendras
que la haine existe vivace et ardente :
Et le désir de tuer des hommes innocents
parfaitement inconnus de nom et de visage
…. qui auraient pu être des frères
si on avait voulu !
Ô Toi ! Né pendant la guerre
la plus folle ! la plus absolue.
Toi ! spectateur impassible et incompréhensif
qui ne jugeras que bien plus tard,
quand seront éteintes les flammes
et balayées les cendres.
Toi ! qui viens pour reconstruire
avec toute la tendresse de ton regard
bien disposé et sans méfiance,
avec tes mains si douces…. et roses
où peu à peu se dessineront
les grandes lignes de l’existence.
Te voici envoyé vers nous,
avec la perspective de ton enfance
inconsciente et échevelée,
pendant que se finira la guerre démente
et que nous planterons nos croix !
Tu ne viens, ni pour pleurer
ni pour souffrir
en quoi que ce soit, du malheur de notre année !
Tu viens, Promesse d’Avenir,
pour établir et contempler la paix !
Ô mon petit Enfant,
pour l’instant, dans le soleil,
tu joues avec le sable de cette terre
pour laquelle le sang coule
incompressible depuis des mois !
Et tout à l’heure, quand le soleil dormira
sur nos chantiers de morts,
tu souriras à la lumière de ta veilleuse
entre les voiles de ton berceau blanc.
Tu ne sais rien. Ton âme est close.
Tu es la chrysalide du lendemain.
Et je te regarde, affolée par tant d’innocence
et de certitude.
Ta tâche n’est pas la plus douce.
Constructeur parmi les décombres :
Il te faudra aller sans défaillance,
ne pas croire que la vie est mauvaise
parce que la mort fut un instant
la plus forte !
Tout reprendra avec tes soins.
Génération de vie laborieuse et fervente
après notre génération de sacrifices et de croix
— Efflorescence merveilleuse sur nos morts. —
Le soleil se refera d’une clarté éblouissante
et le blé sera haut dans les champs
avec des cigales dedans.
Des maisons blanches seront bâties
au bord des rivières :
au bord de la Meuse, de la Marne, du Rhin !
Et vous saurez être heureux encore
d’un bonheur neuf et vigoureux
comme votre sang d’enfants nés pendant la guerre.
Mais en ce moment : Tu dors,
ignorant la terre, le vent, la lutte ;
tes yeux fermés abritent le secret
de ton âme
qui est bien la plus forte…
avec son rôle à venir
et l’inconscience de son rêve actuel
où se mire l’éternité.
La Maison dans l’œil du chat
Paris, éditions Georges Crès & Cie, 1917
Mireille Havet poetry
fleursdumal.nl magazine
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