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Leprosy

· Eugène Dayot: Le Mutilé: · Eugène Dayot: Salazie · Eugène Dayot: Moi (Le lépreux)

Eugène Dayot: Le Mutilé:

 

Le Mutilé

Vingt ans et mutilé !… voilà quelle est ma part;
Vingt ans… c’est l’âge où Dieu nous fait un cœur de flamme;
C’est l’âge où notre ciel s’embellit d’un regard,
L’âge où mourir n’est rien pour un baiser de femme.

Et le sort m’a tout pris !… excepté mon cœur!
Mon cœur… à quoi sert-il ? ironique faveur!
C’est le feu qui révèle au nautonier qui sombre,

Le gouffre inévitable au sein de la nuit sombre;
C’est la froide raison rendue à l’insensé:
Heureux s’il n’eût jamais pensé!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et mon cœur souffre moins, lorsque je dis: ma mère!

A ce large festin des élus d’ici-bas,
Qui me dira pourquoi je ne suis qu’un Lazare!
La vie est une fête où je ne m’assieds pas,
Et pourtant j’ai rêvé sa joyeuse fanfare!
La douleur m’a fait boire à sa coupe de fer;
Jeune vieillard, j’ai bu tout ce qu’elle a d’amer.
O vous qui demandez si l’âme est immortelle,
Et ma part de bonheur,… dites!… où donc est-elle?
Quoi ! Dieu nous mentirait, quand sa sainte équité
Nous promet l’immortalité!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je ne puis douter, lorsque je dis: ma mère!

Toute existence ici s’échange par moitié,
Chaque âme peut trouver cette âme de son rêve;
Moi, quand je crie : Amour, l’écho répond : Pitié !…
Et ce mot dans mon cœur s’enfonce comme un glaive
Quelle bouche de femme éteindra dans mon sein
Cette soif d’être aimé qui me brûle sans fin?
Vivre seul dans la vie… Oh ! ce penser me tue!
Vivre seul… quand mon cœur est si riche d’amour.
Il vibre comme un glas dans mon âme abattue;
C’est à ne plus aimer le jour!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je veux vivre encor, lorsque je dis: ma mère!

Souvent, le front ridé de mes sombres ennuis,
J’ai voulu, dans la foule, être oublieux et vivre;
J’ai voulu respirer, au sein des folles nuits,

Ces voluptés de bal dont le prestige enivre;
Imprudent que j’étais!… j’ai maudit leurs plaisirs!
Car je voyais glisser, dans leur valse en délire,
Ces vierges que le ciel enfanta d’un sourire;
Je les voyais; et nulle, en passant près de moi,
Ne disait d’un regard : à toi!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et je ne maudis plus, lorsque je dis: ma mère

Oh ! vous ne savez pas, vous qui vivez heureux,
Ce qu’un long désespoir peut jeter dans la vie!
Vous n’avez point senti ce moxa douloureux
Qui torture le cœur et qu’on nomme l’envie!
Quand un rêve d’amour vous suit au bal bruyant,
L’espérance du moins s’y montre en souriant;
Mais moi, lorsque le bal a fini ses quadrilles,
Ai-je une fiancée, entre ces jeunes filles,
A qui je puisse dire en lui serrant la main:
Dieu m’a fait un bien doux destin!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et puis-je être envieux, lorsque je dis : ma mère!

Ah ! lorsque vers la tombe inclinera mon front,
Je n’aurai pas une âme à qui léguer mon âme;
Arrivé seul au port où m’attend l’abandon,
Sans sourire, sans pleurs, je quitterai la rame.
Aucun enfant au seuil de mes jours éternels
Ne viendra recevoir mes adieux paternels!
Autour de mon chevet, à l’heure d’agonie,
Mes regards vainement chercheront une amie!
Et de moi, sur ce globe où je vins pour souffrir,
Plus rien… pas même un souvenir!

Mais ton amour est là, mon ange tutélaire,
Et si tu me survis, tu pleureras…. ma mère!

Eugène Dayot
(1810-1852)
Le Mutilé

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Eugène Dayot: Salazie

Salazie

Oh ! dis-moi donc, enfant de la race créole,
D’où vient que pour nos bords, ton cœur est sans amour?
D’où vient que faible encor, ta première parole,
Dans l’avenir douteux, semble arrêter le jour
D’un départ sans retour?
Pourquoi, lorsque ta mère, offrant ton brun visage
A la splendeur d’un ciel si poétique à voir,

Insoucieux de lui, ton oeil ardent et noir,
A l’horizon lointain, demande une autre plage,
Ton rêve et ton espoir?
France ! France ! voilà ce que ton âme crie:
Eh ! la France, dis-moi, vaut-elle ta patrie?
De ton brillant soleil le sien est-il rival?
Son ciel est-il plus pur, sa nature plus belle?
Lorsque l’hiver partout jette la faim cruelle,
Dans tes fertiles champs, le joyeux cardinal,
En vain, pour ses petits, va-t-il lasser son aile?
Non, non, jamais l’hiver, déroulant son linceul,
N’affligea nos climats de famine et de deuil;
De nos bois de palmiers la robe est éternelle;
Le tarin chaque année y retrouve son nid,
Et l’oranger, si cher aux amours de Parny,
A tous nos beaux soleils offrent une fleur nouvelle.
Mais, ingrat, le dédain te mord et brûle au front,
Viens, suis-moi, fuis ces lieux où l’Océan tranquille,
Caresse avec amour les grèves de notre île;
Vois-tu, bien loin, là-bas, ce gigantesque mont,
Dont le front chauve et gris en trois cônes s’effile?
De son humide sein, immense réservoir,
Trois rivières, trois sœurs s’échappent sans se voir,
Et le chasseur hardi, seul, debout sur ces cimes,
Voit serpenter leurs lits creusés dans les abîmes.
Salazie à ses pieds, comme un riant Eden,
Sommeille en attendant les beaux jours de juin.
C’est là que ma muse fidèle,
Fière de chanter en chemin,
T’invite à voler avec elle.
Sur le léger Maho consens à t’appuyer.
Laissons de Saint-André la ville pluvieuse ;
Quittons les vastes champs où la canne orgueilleuse,
Sans pitié détrôna le vieux giroflier;
Regarde de ce pont la légère structure;
Il s’élance, hardi, d’un bord à l’autre bord;
Et le frisson au cœur, le passant y mesure
L’espace qui, sous lui, semble un gouffre de mort.
Là, comme un éternel musée
Qui s’ouvre aux yeux du voyageur,
La nature déroule, imposante et bronzée,
De sa création la pompe et la grandeur!
Là, si ta veine émue est pleine encor de sève,
Si ton regard de nain peut voir et mesurer,
Si d’un sublime amour ton cœur peut s’enivrer,
Contemple, admire et rêve…

Mais d’un vol plus rapide, effleurons ces vallons,
Où, par endroit dans la clairière,
Une blanche fumée, ondulant en flocons,
Trahit du Salazien la tente hospitalière.
Saluons, en passant, ces superbes pitons
Qu’une vapeur bleuâtre offre à sa transparence.
La royale fougère y suspend ses festons,
Et sur leurs flancs moussus le palmier balance.
Contemplant ces torrents qui blanchissent leurs bords,
Et ces ponts suspendus, et ces gorges profondes,
Où l’on n’entend jamais que le long bruit des ondes
Qui tombent en cascades et grondent en accords!
Ne te semble-t-il pas dans ce chœur d’harmonies,
Ouir les grandes voix d’invisibles génies?
Mais poursuivons, sans bruit dans ces bois parfumés,
Où le vert framboisier défend ses fruits aimés;
Où le Natte géant jette une ombre suprême,
Où le Fanjan élance un coquet diadème;
Et tantôt dans la vallée, échappant à l’ombrage,
Arrivons sans fatigue à ces frais ermitage
Assis au bord de l’eau.
Vois s’ouvrir après lui ce cirque granitique,
Sublime enfantement d’un cataclysme antique,
Où telle qu’une fleur dans un casque d’airain,
Marzas sourit au pèlerin;
Laisse-la reposer dans l’ombre
Des citronniers groupés sans nombre,
Et contemple avec moi ce grand panorama,
Tout hérissé de pics à la face angulaire.
Oh ! quelle forte main, en ligne circulaire,
Les fondit et les rassembla!
Parlez, répondez-moi, vieux colosses de pierre:
Êtes-vous d’un volcan les travaux infinis,
Ou les noirs ossements de ces géants punis
Pour avoir, jusqu’aux cieux, porté leur tête altière?
D’un temple surhumain êtes-vous les débris,
Ou d’un monde inconnu les ébauches sublimes?
De la destruction les terribles esprits,
Vous ont-ils laissés là, comme les millésimes
D’un passé merveilleux par le néant surpris?
Il semble au voyageur qui, muet, vous admire,
Que debout sur vos fronts un Dieu passe et respire!
Oh ! que j’aime à vous voir lorsque Mars orageux
Vous a longtemps cachés sous ses brumes compactes,
Vous reparaissez tout frileux,
Et blancs de mille cataractes!
Mais je vois Bé-Massoum, Anchaing et Cimandefs,
Qui se dressent là-bas, semblables à trois chefs.
Faisons encore trois pas ; ah ! voilà Salazie,
La voilà sous nos yeux, fraîche de poésie!
Salut, Sainte oasis ! Toi, Piton, son époux,
Qui la gardes de loin comme un vieillard jaloux,
Salut à la blanche couronne,
Dont la nue au front t’environne!
Salut au moins, en cheveux blancs
Qui prie à genoux sur tes flancs!
Je te revois, source chérie,
Comme on revoit une patrie;
Car, pour celui qui souffre et gémit ici-bas,
La patrie est aux lieux où la douleur n’est pas!
Trois fois de ton versant j’ai vu le triple étage,
Peupler ses toits joyeux de frères et d’amis;
Car, là comme tes jours, le cœur est sans nuage,
Et l’égoïsme affreux ne fut jamais admis!
Sous ton beau ciel sans haine et sans envie,
La joie au cœur on vit d’une autre vie;
Et bien souvent ton orgueilleux rempart
Compta les pleurs répandus au départ!
Oh ! tu n’es plus ce bienfait inutile,
Au fond des bois, si longtemps rejeté!
Chaque saison voit un peuple débile,
Boire à tes eaux la force et la santé;
Oui, le bonheur te charme, ô ma jouvence!
Ton gai séjour s’éveille au bruit des jeux,
Et ta fontaine, au cœur du malheureux
Apporte au moins une douce espérance!
Ah ! puisses-tu comme un rayon de miel,
Toujours t’offrir à ceux qui, sur la terre,
Ne boivent plus qu’à la coupe de fiel!

Eugène Dayot
(1810-1852)
Salazie

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Eugène Dayot: Moi (Le lépreux)

 

Moi (Le lépreux)

Quand les neiges de l’âge auront blanchi mon front,
Aurai-je une âme en qui s’épanchera mon âme?
Non, malheureux, au port où m’attend l’abandon,
sans joie et sans regret, je quitterai la rame!
Aucun enfant au seuil de mes jours éternels,
Ne viendra recevoir mes baisers paternels!
Sur ma couche, râlant, combattant l’agonie,
Mes regards vainement chercheront une amie!
Dans ce monde où tout naît, tout vit et doit mourir,
Que laisserai-je ? … Rien… pas même un souvenir!!

24 mars 1836

Eugène Dayot
(1810-1852)
Moi (Le lépreux)

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