Aloysius Bertrand: L’écolier de Leyde
Aloysius Bertrand
(1807-1841)
L’écolier de Leyde
Il s’assied dans son fauteuil de velours d’Utrecht,
messire Blasius, le menton dans sa fraise de fine
dentelle, comme une volaille qu’un cuisinier s’est
rôtie sur une faïence.
Il s’assied devant sa banque pour compter la monnaie
d’un demi-florin ; moi, pauvre écolier de Leyde, qui
ai un bonnet et une culotte percés, debout sur un pied
comme une grue sur un pal.
Voilà le trébuchet qui sort de la boîte de laque aux
bizarres figures chinoises, comme une araignée qui,
repliant ses longs bras, se réfugie dans une tulipe
nuancée de mille couleurs.
Ne dirait-on pas, à voir la mine allongée du maître,
trembler ses doigts décharnés découplant les pièces d’or,
d’un voleur pris sur le fait et contraint, le pistolet
sur la gorge, de rendre à Dieu ce qu’il a gagné avec le
diable ?
Mon florin que tu examines avec défiance à travers la
loupe est moins équivoque et louche que ton petit oeil
gris, qui fume comme un lampion mal éteint.
Le trébuchet est rentré dans sa boîte de laque aux bril-
lantes figures chinoises, messire Blasius s’est levé à
demi de son fauteuil de velours d’Utrecht, et moi, saluant
jusqu’à terre, je sors à reculons, pauvre écolier de Leyde
qui ai bas et chausses percés.
Aloysius Betrand poetry
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