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Jacques Rigaut: Je serai sérieux comme le plaisir

 

J a c q u e s   R i g a u t

(1898-1929)

Je serai sérieux comme le plaisir

Il n’y a pas de raisons de vivre, mais il n’y a pas de raisons de mourir non plus. La seule façon qui nous soit laissée de témoigner de notre dédain de la vie, c’est de l’accepter. La vie ne vaut pas qu’on se donne la peine de la quitter. On peut par charité l’éviter à quelques-uns mais à soi-même ? Le désespoir, l’indifférence, les trahisons, la fidélité, la solitude; la famille, la liberté, la pesanteur, l’argent, la pauvreté, l’amour, l’absence d’amour, la syphilis, la santé, le sommeil, l’insomnie, le désir, l’impuissance, la platitude, l’art, l’honnêteté, le déshonneur, la médiocrité, l’intelligence, il n’y a pas là de quoi fouetter un chat. Nous savons trop de quoi ces choses sont faites pour y prendre garde.

Chaque fois que j’ai pu tromper la confiance d’un ami, je crois n’y avoir pas manqué. Mais le mérite est mince à railler la bonté, à berner la charité, et le plus sûr élément de comique c’est de priver les gens de leur petite vie, sans motifs, pour rire.

Les enfants, eux, ne s’y trompent pas et savent tout le plaisir qu’il y a à jeter la panique dans une fourmilière, ou à écraser deux mouches surprises en train de forniquer.

Pendant la guerre, j’ai jeté une grenade dans une cagna où deux camarades s’apprêtaient, avant de partir en permission. Quel éclat de rire en voyant le visage de ma maîtresse, qui s’attendait à recevoir une caresse, s’épouvanter quand je l’ai eu frappée de mon coup de poing américain, et son corps s’abattre quelques pas plus loin; et quel spectacle, ces gens qui luttaient pour sortir du Gaumont Palace, après que j’y eus mis le feu ! Ce soir vous n’avez rien à craindre, j’ai la fantaisie d’être sérieux.

Il n’y a évidemment pas un mot de vrai dans cette histoire et je suis le plus sage petit garçon de Paris, mais je me suis si souvent complu à me figurer que j’avais accompli ou allais accomplir d’aussi honorables exploits, qu’il n’y a pas là non plus un mensonge.

 

? ? ?

Demande d’emploi

Il y a des gens qui font de l’argent, d’autres de la neurasthénie, d’autres des enfants. Il y a ceux qui font de l’esprit. Il y a ceux qui font l’amour, ceux qui font pitié.

Depuis le temps que je cherche à faire quelque chose ! Il n’y a rien à y faire : il n’y a rien à faire.

Peut-être est-ce ma voie. Je bois, je suis devenu un peu ivrogne; notez-le, je perds rarement ma dignité. Je bois à plusieurs, avec les femmes surtout.

Et je bois seul, avec de grands hoquets.

Camarades ! il n’y a pas de camarades. Je ne vous aime pas. Vous pouvez vivre et vous amuser, ça m’est égal.

– Il n’y a rien de possible, pas même le suicide. (…) Le suicide est, quoi qu’on veuille, un acte-désespoir ou un acte-dignité. Se tuer, c’est convenir qu’il y a des obstacles effrayants, des choses à redouter, ou seulement à prendre en considération.

– Selon vous le suicide est un pis-aller.

– Exactement. Et un pis-aller à peine moins antipathique qu’un métier ou qu’une morale.

Choisir un point qu’on appellera commencement; on ne le reconnaît qu’à ce qu’il touche la fin et qu’il sera partout où sera la fin, commandé par elle.



 

Pensées

Ménagez la mort, mon ami. Disposez un coussin sur son siège. Distrayez la, flattez la, faites lui la vie agréable, qu’elle n’aille pas vous quitter.

Cette personne, la plus méconnue, c’est d’elle que vous recevrez tout, c’est votre seul gage d’existence. Privé de sa compagnie, il ne vous reste plus qu’à jouer aux billes.

Splendeur de ma voix qui s’élève seule, seule, dédaigneuse de toute oreille, faite pour aucune. Je frémis au sommet du mot seul, sur une limite aussi pathétique que le tournoiement du derviche hurleur, ou du chancellement du boxeur avant qu’il s’écroule, ou de l’avion qui pique en flammes.

Depuis vingt heures inquiet, mal à l’aise parce qu’une petite fille sans beauté et sans profondeur n’a pas témoigné assez de bonne grâce au téléphone. A chaque bout du fil, deux êtres pleins – pas d’un dépit de coquetterie – de la déception un peu rancunière de voir qu’un être qu’on a failli aimer y a manqué aussi.

 

KEMP=MAG POETRY MAGAZINE – magazine for art & literature

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